La canicule et la gestion des risques à l’hôpital.

Jean-Pierre PRUVO & Vincent HAZEBROUCQ

Tout, ou presque, aurait déjà été dit et écrit sur les conséquences de la canicule de cet été 2004.
Mais les leçons à tirer de ce drame humain et du tapage médiatique associé n’ont pas toutes été tirées ; l’une d’elles concerne la gestion des risques à l’hôpital.

Chacun garde en mémoire, suite à plusieurs affaires retentissantes, la mise en place progressive par les autorités de santé française de dispositifs réglementaires de veille successifs : pharmacovigilance (talc Morange, thalidomide…), infectiovigilance, hémovigilance (sida, hépatite…), matériovigilance … la liste est volontairement incomplète…

Bien souvent, le nouveau dispositif a été conçu dans une certaine urgence émotionnelle, en négligeant les études de cohérence ou de complémentarité potentielle avec les systèmes de veille précédents.

Pour nous radiologistes, le dernier avatar, loin d’être finalisé d’ailleurs, est celui de la radioprotection / dosimétrie / radiovigilance, conçu avec une approche fortement teintée de la tutelle principale industrielle (Bercy).

Il n’est donc pas surprenant, dans cette logique que les administrations chargées de la veille sanitaire aient été prises au dépourvu lorsque la canicule fut venue : il n’y avait tout simplement pas de structure « canicule », pas de procédure préétablie, pas de responsable désigné pour dire ce qu’il conviendrait de faire.

Le dossier de septembre 2003 (« Canicule, quelles responsabilités » par Pierre-Yves Poindron, in Le Concours Médical n°25 du 10 septembre 2003) illustre parfaitement cette analyse, dans les propos de bon sens de Jean-Marie Clément, professeur de droit médical et hospitalier : « Les dysfonctionnements proviennent du fait que l'on a mis en place des services d'alerte trop éloignés des réalités. Les agences et instituts de veille sanitaire sont de grosses machines qui réagissent en fonction de procédures. Si aucune procédure n'est prévue, elles ne réagissent pas. L'Institut national de veille sanitaire n'avait pas intégré la canicule, il n'a pas donné l'alerte. »

Dans nos hôpitaux, et nos services de radiologie, la problématique est identique :

-         On peut ( ?) faire l’autruche, se dire que jusqu’ici tout s’est bien passé, qu’il ne faut donc rien faire… tel celui qui tombe du 90è étage, se rassure tout au long de sa chute, en se répétant « jusqu’ici tout va bien …» Certains auront la chance de passer entre les gouttes de l’orage. D’autres seront plus ou moins aveuglément « pris pour l’exemple » avec l’impression que « le ciel leur tombe sur la tête ». Nous avons en France une vieille tradition dans ce sens… cependant, ce n’est pas l’option recommandée par le SRH !

-         On peut s’efforcer durablement d’appliquer à la lettre la logique et les procédures particulières de chacune des vigilances réglementaires, chacune additionnée à la précédente. C’est compliqué, fastidieux, chronophage intellectuellement pesant et et lourd en paperasserie.

-         En abordant la question différemment, de façon radicale et systémique, hors impératif urgent d’action à la va-vite, on peut mettre en place hardiment une politique globale de gestion des risques et de la qualité, inspirée des progrès considérables dans les concepts et les outils de mise en œuvre du monde de l’aéronautique, du nucléaire, ou plus proche de nous des hôpitaux de certains pays pionniers.
C’est sans doute le plus recommandable, on anticipe quand il n’y a pas encore « le feu au lac ». Alors que tous les éléments du prochain drame sont en place, on évite le risque ultérieur de se voir reprocher le manque de préparation à une menace imprévue, a posteriori relativement prévisible, sans datation possible. (Failing to prepare is preparing to fail…)

 

Nous devons nous préparer. Il est encore temps… : si nous restons passifs, d’autres viendront gérer les risques et la qualité à notre place, avec les résultats constatés pour la maîtrise des dépenses, l’information des patients, la gestion du dossier médical,etc.

 

VH JPP

 

Le lecteur intéressé par ces sujets pourra lire également :

- L’étude comparative pratiquée en 2001 pour le compte de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins sur la gestion des risques iatrogènes à l’hôpital, en France et dans quelques pays étrangers, qu’il est possible de télécharger à l’adresse suivante : http://www.sante.gouv.fr/htm/publication/dhos/risques/ind_risq.htm

- Le récent et remarquable rapport de l’ANAES, intitulé « Principes méthodologiques pour la gestion des risques en établissement de santé », également téléchargeable sur le site internet de l’Agence à l’adresse suivante :
http://www.anaes.fr/ANAES/Publications.nsf/0/99abbb13d3184d42c1256cd10048712a?OpenDocument

Ce dernier document mérite toute notre attention : la gestion des risques, parfois déjà imposée par des impératifs assurantiels va devenir très bientôt un critère de l’accréditation nouvelle version.

Note d'actualisation 2007 : cet article a été écrit en novembre 2004.

Depuis lors, le dispositif de formation médicale continue (FMC) a été entièrement revu et complété par l'EPP (évaluation des pratiques professionnelles) et par l'accréditation des équipes médicales.

Cette dernière, possible pour les praticiens à activité interventionnelle, consiste précisément à mettre en place une gestion des risques (signalement des évènements porteurs de risque (EPR), étude de ces EPR signalés, mise en place d'actions correctrices et évaluation de ces dernières). Peu à peu se mettent donc en place, à l'hôpital, des pratiques sécurisées qui nous aideront à conforter ou regagner la confiance des patients et à limiter le risque d'accidents ou d'erreurs médicales, dont on affirme régulièrement  mais sans preuve absolue toutefois, qu'ils tueraient plus, en France, que les accidents de la route ou le Sida. Même si cela n'était pas le cas, il est clair que la réduction de la non-qualité en médecine est la façon la plus éthique de faire faire des économies au système de santé.