Dossier médical informatisé, archivage des images :
législation et recommandations

Jean-François Chateil, CHU Pellegrin et Université de Bordeaux,
 Vincent Hazebroucq, Direction de la Politique médicale, AP-HP Paris et Université Paris 5 René Descartes
(paru dans le Bulletin de la Sté Française de radiologie médicale, numéro 21 spécial DMP, Avril 2005 : pp 11-13)

L’instauration du dossier médical informatique personnel (DMP) et l’intégration souhaitable dans ce DMP des examens d’imagerie nécessitent de préciser les règles d’archivage et d’accès au dossier médical et à ses différentes composantes. Cette réflexion doit prendre en compte l’installation progressive des dossiers de santé informatisés, la généralisation de l’imagerie médicale numérique, la croissance exponentielle du volume des images produites par les différentes modalités (CT-X, IRM, PET-CT…), ainsi que l’appropriation croissante par le patient de son dossier de santé.

Les questions qui se posent au radiologue sont les suivantes :

-          Quel accès aux données d’imagerie doit-on garantir au patient et aux médecins qui le prennent en charge ?

-          Qui doit pouvoir accéder aux images, et comment ?

-          Quelle doit être la pérennité des données dans le temps ?

-          De quels moyens disposera-t-on pour répondre à ces besoins ?

Placer le patient au centre du dispositif de soins implique qu’il puisse disposer des informations médicales le concernant, y compris ses explorations d’imagerie. Il est également important que les différents acteurs médicaux impliqués dans sa prise en charge (médecin traitant, médecins spécialistes  consultants libéraux ou hospitaliers, correspondants distants…) puissent avoir accès à ses données, en particulier lorsqu’elles concernent la « pathologie en cours ».

La nécessité de cet accès est en effet indéniable pour la prise en charge d’une affection donnée ; l’accessibilité doit aussi se maintenir bien au-delà de la conclusion de l’épisode pathologique, dans le respect de la législation relative à la confidentialité médicale et à la protection de la vie privée de l’intéressé : si en pratique, 90% des requêtes de consultation des résultats d’un examen se font dans la première année suivant l’exploration, il n’est pas pensable de négliger les éventuelles demandes ultérieures, pouvant s’avérer nécessaires pour plusieurs raisons, liées parfois à l’intérêt individuel du patient, parfois à un intérêt collectif : suivi évolutif, lecture comparative d’un examen ultérieur, expertise médico-légale de responsabilité médicale, mais aussi recherche, enseignement, évaluation de la qualité des soins….

Il paraît dès lors difficile de prendre à la légère l’initiative ou la responsabilité de détruire ou de rendre inaccessible l’information médicale, y compris les examens d’imagerie.

Aspects réglementaires

La Nomenclature Générale des Actes Professionnels (modifiée par l’arrêté du 28 janvier 1997) stipule que «  …Pour donner lieu à remboursement, tout acte de radiodiagnostic doit comporter une ou plusieurs incidences radiographiques matérialisées par un document, film ou épreuve, et être accompagné d’un compte-rendu écrit et signé par le médecin… ».

Avec la prochaine mise en place de la Classification Commune des Actes Médicaux, les conditions précises de délivrance du résultat, des supports permettant la communication et la conservation des données devront être révisées. Il est notamment indispensable que la notion de support électronique, physique ou « virtuel », soit prise en compte.

D’autre part, la réglementation applicable au dossier médical et en particulier à sa composante « imagerie » englobe de multiples textes plus ou moins spécifiques - directives européennes, lois, décrets, arrêtés, circulaires… - souvent imprécis pour l’imagerie, parfois contradictoires :

Si les explorations d’imagerie font naturellement partie intégrante du dossier médical et si le compte-rendu des examens d’imagerie est toujours directement visé par les textes définissant le dossier médical d’hospitalisation, dont les dernières versions remontent à la loi 2002-303 du 4 mars 2002 [1], pour les images elles-mêmes les textes sont plus fluctuants, tantôt les incluant explicitement , tantôt non : dans la dernière version en vigueur de ces textes, le dossier du patient est défini comme constitué des informations de santé le concernant et qui sont partagées entre lui et les professionnels qui le soignent. L’article R 1112-2 CSP détaille les différents éléments constitutifs du dossier médical, et précisant ainsi « …g) Les informations relatives à la prise en charge en cours d'hospitalisation: état clinique, soins reçus, examens para-cliniques, notamment d'imagerie ;…».

Il est d’ailleurs à noter que l’ANAES, dans son rapport de juin 2003 relatif à la tenue du dossier patient, émet la recommandation suivante : « à la sortie du patient, il est possible de confier au patient ses clichés radiologiques, la seule obligation étant de conserver dans le dossier le compte-rendu radiologique ; il est alors recommandé d’établir une liste des documents remis, liste signée par le patient et conservée dans le dossier de l’établissement ». Mais cette recommandation ne vise que les clichés radiographiques sur films et ne règle pas la question des images numériques dont la dématérialisation permet à la fois de les confier au patient et d’en conserver une copie.

Dans ce contexte il paraît délicat de ne pas envisager la conservation des images et l’organisation de leur accessibilité, même si cela n’est pas expressément exigé. En admettant ainsi qu’il faille archiver les images, il faut encore se demander (1) sous quelle forme, (2) sur quelle durée les conserver, et (3) comment organiser leur communication :

(1) Nature des archives d’images médicales

Le Code du patrimoine[2] précise dans son article L. 211-1 que « Les archives sont l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité ».

Selon cette définition légale, le support informatique relève donc des mêmes obligations que les supports matériels classiques d’archivage ; il doit, comme eux, répondre aux critères suivants : être fidèle, durable et indélébile…

La directive européenne 1999/93/CE sur la signature électronique[3] confère au document électronique la même valeur probante qu'un document « papier » sous réserve que la personne dont il émane puisse être dûment authentifiée et qu'il soit établi et conservé dans les conditions de nature à en garantir l'intégrité. Ce qui est plus facile à dire qu’à faire…

Tout radiologue un tant soit peu expérimenté sait qu’à chaque changement de scanner X ou d’imageur IRM, ses anciennes archives ont souvent été bonnes à jeter, le nouvel appareil ne sachant plus lire ni l’ancien support (bandes magnétiques, disquettes de cinq pouces, gros disques magnéto-optiques, …) ni l’ancien format spécifique des images.

La généralisation du standard DICOM n’apporte qu’une réponse partielle qui ne règle pas totalement la délicate question de la durabilité réelle des supports matériels des données numériques : les cédéroms (CD) ou dévédéroms (DVD) gravés actuellement dans nos services et cabinets ne resteront probablement lisibles que pendant une dizaine d’années : la prudence inciterait donc à prévoir de recopier périodiquement les archives anciennes sur des supports récents, ce qui entraînerait des coûts significatifs, pour lesquels aucun financement n’est actuellement prévu, pas plus que n’est fixé celui qui doit en assurer la responsabilité : le radiologue, l’établissement de santé ou le patient lui-même ?

En admettant cette difficulté réglée et qu’une solution pérenne soit trouvée pour conserver le dossier médical informatisé, il faudra encore, selon la loi n°78-17 du 6 janvier 1978[4], respecter les conditions suivantes : déclaration du fichier à la CNIL, information du patient sur l’existence et la nature du fichier, ainsi que sur la possibilité d’opposition et le droit de contestation et de rectification des données enregistrées …

(2) Durée de l’archivage des images médicales

La question de la durée nécessaire d’archivage reste à préciser:

-                      L’arrêté du 11 mars 1968 réglementant la conservation des archives hospitalières prévoyait que les « …dossiers médicaux des malades (diagnostics, observations, comptes rendus d'examens, clichés radiographiques, électrocardiogrammes… » doivent être conservés, selon le type de pathologie ou de contexte, au minimum 20 ans, plus souvent 70 ans (pédiatrie, neurologie, stomatologie, maladies chroniques…) voire « indéfiniment » (pour les affections de nature héréditaire, ainsi que pour un échantillonnage systématique de 4 p. mille de la totalité des dossiers, constituant des archives historiques formées par les dossiers dont les numéros de série se terminent par -100, -350, -600 et -850).

Soulignons que ce texte ne concerne que le dossier clinique du patient et ne vise donc pas les archives constituées dans les services d’imagerie ; ceux-ci sont seulement assujettis, par analogie avec les laboratoires, à conserver « indéfiniment » les listings et comptes-rendus des actes effectués.

-                      En considérant la question autrement, et pour tenir compte de la durée de la prescription des demandes d’indemnisations pour faute médicale qui a été, depuis la loi n°2002-303 du 4 mars 2002[5], uniformément fixée à 10 ans à compter de la consolidation du dommage (sans compter les années de minorité), les établissements d’hospitalisation devraient conserver au moins 10 ans les examens effectués chez des adultes, et même jusqu’à 30 ans s’ils ont été pratiqués chez l’enfant ou la femme enceinte (9 mois de gestation plus 18 années de minorité plus enfin 10 années de prescription)

(3) Organisation du stockage et de l’accessibilité aux données de santé :

La loi du 4 mars 2002 (op.cit.) indique encore que « Toute personne a accès à l'ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé, qui sont formalisées et ont contribué à l'élaboration et au suivi du diagnostic et du traitement ou d'une action de prévention, ou ont fait l'objet d'échanges écrits entre professionnels de santé, notamment des résultats d'examen, comptes-rendus… ». Relevons que cette disposition légale ne se limite pas aux établissements hospitaliers, et concerne  très largement l’ensemble des professionnels de santé.

Le dossier médical personnel est légalement défini: « Afin de favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins, gages d’un bon niveau de santé, chaque bénéficiaire de l’assurance maladie dispose… dans le respect du secret médical, d’un dossier médical personnel constitué de l’ensemble des données mentionnées à l’article L.1111-8 CSP, notamment des informations qui permettent le suivi des actes et prestations de soins ».

Le radiologue doit participer à la constitution de ce dossier médical personnel puisque « …chaque professionnel de santé, exerçant en ville ou en établissement de santé, quel que soit son mode d’exercice, reporte dans le dossier médical personnel, à l’occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge ». Les explorations en imagerie répondent bien à cette définition d’acte, réalisé par un professionnel de santé, générant des informations utiles pour le diagnostic, voire en rapport avec le traitement lorsqu’il s’agit de procédures interventionnelles.

La loi n°2004-810 du 13 août 2004 apporte quelques compléments d’information sur les échanges entre professionnels de santé et sur la mise en place du dossier médical partagé. « Afin de garantir la confidentialité des informations médicales, leur conservation sur support informatique, comme leur transmission par voie électronique entre professionnels, sont soumises à des règles définies par décret en Conseil d’État pris après avis public et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ». Ces transactions doivent en particulier être sécurisées par l’emploi de la carte de professionnel de santé.

L’hébergement des « données de santé » est également encadré par la loi ; l’article L1111-8 CSP indique : « Les professionnels de santé ou les établissements de santé ou la personne concernée peuvent déposer des données de santé à caractère personnel, recueillies ou produites à l'occasion des activités de prévention, de diagnostic ou de soins, auprès de personnes physiques ou morales agréées à cet effet. Cet hébergement de données ne peut avoir lieu qu'avec le consentement exprès de la personne concernée. La prestation d'hébergement fait l'objet d'un contrat. Lorsque cet hébergement est à l'initiative d'un professionnel de santé ou d'un établissement de santé, le contrat prévoit que l'hébergement des données, les modalités d'accès à celles-ci et leurs modalités de transmission sont subordonnées à l'accord de la personne concernée. Seuls peuvent accéder aux données ayant fait l'objet d'un hébergement les personnes que celles-ci concernent et les professionnels de santé ou établissements de santé qui les prennent en charge et qui sont désignés par les personnes concernées ».

Le décret précisant les conditions d’hébergement des dossiers médicaux serait à l’heure actuelle sous presse…

Les données relatives aux explorations d’imagerie (comptes-rendus et/ou images ?) pourraient faire l’objet d’un tel hébergement ; S’il englobe les images, le volume des données à transmettre et à stocker nécessite des canaux de transmission à haut débit et d’importantes capacités de stockage.

Ces dispositions légales ne précisent pas à qui appartiennent les données ou les images médicales d’un patient. Cette question ne se posait pas souvent autrefois lorsque l’image était indissociable du support radiographique et que le patient en était généralement et nécessairement le gardien naturel, sauf à l’hôpital.

Mais la dématérialisation des images numériques, qui entraîne la possibilité de les transmettre facilement à distance ou d’en tirer des copies multiples redonne une plus grande acuité à cette question.

Par extension du raisonnement classiquement appliqué aux photographies, on peut considérer que le professionnel qui réalise (ou fait réaliser sous sa responsabilité) un examen d’imagerie garde la propriété intellectuelle des images qu’il crée. Mais il ne peut toutefois pas les utiliser, sans l’autorisation expresse du patient, pour un autre but que celui pour lequel le patient s’est prêté à l’examen : toute utilisation pédagogique, de recherche, ou de publication, a fortiori commerciale, devrait donc faire l’objet d’une autorisation spécifique.

Ainsi, les patients devraient être avisés dans les centres hospitaliers et universitaires que la triple mission de soins, d’enseignement et de recherche du service dans lequel ils viennent passer un examen suppose que leurs données pourront, sauf opposition spécifique de leur part, servir également pour l’enseignement et la recherche, après anonymisation, autant que faire se peut.

 

Sujets de réflexion

 

La lecture de ces différents textes inspire plusieurs réflexions pour guider la démarche des radiologues dans leur attitude, leurs attentes et leurs exigences à l’égard des données numériques :

- Il faut préciser le statut des images vis à vis du dossier médical, qu’il s’agisse du dossier d’un établissement de soin ou du dossier médical partagé. Si le compte-rendu est indispensable dans ces différents dossiers, l’inclusion ou la non inclusion de tout ou partie des images ayant servi à produire le compte rendu du radiologue reste discutée.

- Il est souhaitable que les obligations des radiologues libéraux et ceux des établissements de soins soient clairement définies pour éviter des divergences d’interprétation.

- Le volume des données à transmettre et à conserver mérite également l’attention de nos instances professionnelles.

* Le développement et les progrès techniques de nos imageurs (CT-X, IRM, TEP…) ont démultiplié la quantité des données produites, le nombre d’images d’un examen pouvant se chiffrer par centaines sinon par milliers, sans parler de l’infinité des reconstructions 2D ou 3D possibles à partir des coupes originelles.

La consultation intégrale directe d’une telle quantité d’images n’est tout simplement plus possible, et le radiologue doit de plus en plus assumer l’intégralité de sa mission : produire et sélectionner les images qui lui permettent, après leur interprétation, d’asseoir son diagnostic et de convaincre le clinicien demandeur d’avis.

Nos bonnes pratiques professionnelles devront préciser la façon dont nous communiquerons au patient et au clinicien demandeur nos résultats d’examen, « résumé iconographique », sélection d’images à fenêtrage fixe, intégralité des données DICOM ? La réponse n’est pas nécessairement la même pour la transmission des résultats d’examen et pour le stockage des données.

* Aborder la question du volume des données conduit naturellement à s’interroger sur l’utilisation légitime de la compression des données. Les méthodes les plus efficaces pour réduire les volumes à transmettre ou à archiver sont de type destructives, c’est à dire irréversibles, ce qui signifie que certains « détails » sont perdus. En dépit des importants progrès de cette branche des mathématiques, aucun algorithme n’est universellement valable pour toutes les modalités d’imagerie ni même tous les types d’images d’une modalité. Idéalement, le type et le degré de compression devrait être choisi en fonction de l’examen réalisé, voire du type d’image pathologique recherché : un scanner du parenchyme pulmonaire en coupes ultrafines, une mammographie, une échographie hépatique ne supportent pas aussi bien la compression des données.

Peut-être conviendrait-t-il de conserver sans compression destructrices les images jugées les plus significatives, et comprimer fortement le reste de l’examen, si l’on décide de le conserver durablement ?

- Compte tenu de la lenteur générale d’élaboration et d’évolution des textes réglementaires, qui contraste avec la rapidité des évolutions technologiques permanentes de notre métier, il semble préférable d’établir et de réviser périodiquement, au niveau de nos sociétés savantes et de nos collèges professionnels, des règles de bonne pratique pour préciser nos obligations de production, de fourniture et d’archivage des images numériques, plutôt que d’attendre de la tutelle une réglementation qui risquerait d’être trop contraignante, voire impossible à respecter et se démoderait très vite.

- Les sociétés savantes ont également un rôle à jouer dans la définition et les évolutions des normes et standards d’échanges des données médicales, et notamment des images, afin de garantir la simplicité et la pérennité de leur accès et l’interopérabilité de nos appareils.

- Elles peuvent enfin contribuer à définir et diffuser des outils simples d’emploi pour les médecins et pour les patients, afin de leur permettre de visualiser leurs dossiers d’imagerie.

Le présent texte n’a pas la prétention d’avoir abordé la totalité de ces questions, et encore moins d’y avoir définitivement répondu. Son ambition se limite à ébaucher les cadres d’une réflexion, qui devra être partagée largement par les collègues libéraux et hospitaliers afin que les propositions de « règles de bonne pratique » qui résulteront de ce travail d’approfondissement soient validées par toute la profession.


 

[1] Articles L. 1111-1 à –9 et L1112-1 ; ainsi que R. 1111-1 à -8 et R.1112-1 à -9 du Code de la santé publique (CSP)

[2] créé par l’ordonnance n°2004-178 du 20 février 2004 ;

[3] transposée en droit français par la loi n°2000-230 du 13 mars 2000, complétée par le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 ;

[4] loi relative « à l'informatique, aux fichiers et aux libertés », révisée par la loi n°2004-801 du 6 août 2004 en application de la directive européenne n°95/46 ;

[5] loi relative aux droits du malade et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner » ;