Questionnements médicolégaux posés dans un service de radiologie par le passage à la dictée numérique avec reconnaissance vocale

Dr Grégory MATHON, Service d’imagerie médicale du Centre Hospitalier de Bretagne Sud (CHBS) et Dr Vincent HAZEBROUQ, MCU-PH à l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris et à l’Université Paris DESCARTES, Directeur du diplôme d’imagerie médicolégale.

Le déploiement de la dictée vocale et / ou des systèmes d’information radiologiques (SIR ou RIS), avec archivage centralisé et sécurisé des comptes-rendus et des images radiologiques visent - en principe - à simplifier et à sécuriser notre travail. Cependant, comme pour toute réelle innovation, ces outils entraînent plus ou moins consciemment des évolutions des pratiques, lesquelles peuvent susciter de nouvelles questions médico-légales. C’est ainsi que l’équipe de l’hôpital de Lorient a été conduite à s’interroger sur l’utilisation optimale de la signature électronique des comptes-rendus. Ces questionnements nous ont semblé de nature à intéresser d’autres radiologues hospitaliers et sont ainsi soumis à vos réactions.

Contexte général hospitalier et radiologique

Le CHBS est un établissement public de santé d’environ 600 lits qui vient de mettre en place un dossier patient unique sur support papier, dans l’attente d’un dossier patient unique informatisé, en cours d’élaboration et attendu pour 2009.

Jusqu’au 25 janvier 2007, le Service d’imagerie médicale du CHBS était équipé d’un système d’information radiologique (SIR XPLORE[1]). Les comptes-rendus étaient classiquement dictés sur des minicassettes magnétiques puis frappés par les secrétaires dans le logiciel XPLORE. En urgence, les comptes-rendus étaient manuscrits. Le lendemain de garde, les secrétaires saisissaient le compte-rendu manuscrit dans XPLORE.

Tous les comptes-rendus étaient signés de façon manuscrite, en principe par le médecin l’ayant dicté, parfois par un collègue. Aucun CR n’était validé directement dans XPLORE.

Depuis le 25 janvier 2007, le Service d’imagerie s’est équipé d’une extension du SIR XPLORE : un système de dictée numérique avec reconnaissance vocale, permettant, à partir des postes informatiques des différentes salles d’examen et des salles d’interprétation, de dicter les comptes-rendus des examens des patients.

Aux heures ouvrables, les fichiers vocaux (dictée numérique seule) et vocaux + texte (obtenu par reconnaissance vocale) sont relus, mis en page et corrigés par les secrétaires du service. Lors des gardes, les radiologues traitent eux même les CR avant leur impression. Une validation électronique est demandée théoriquement avant d’éditer sur papier chaque compte-rendu d’examen.

Si le gain de temps est évident en ce qui concerne le secrétariat, il est bien moins patent pour les radiologues hospitaliers - la ressource la plus déficitaire, hélas, ce temps ci.

De fait, si la dictée numérique (avec ou sans reconnaissance vocale) n’augmente pas significativement le temps de travail du radiologue sur des postes de travail à débit d’examens relativement faible (IRM, TDM, échographies ou doppler, radiologie interventionnelle), elle pénalise fortement les postes à haut débit d'actes (interprétation des examens standards et de la « pile » des urgences). Il faut en effet trente à soixante secondes et une  demi-douzaine de clics pour démarrer la dictée d’un examen donné, à partir de l’écran d’accueil du système, et une autre demi-douzaine de clics en contemplant à nouveau le sablier d’attente affiché à l’écran, pour valider un compte rendu.

Au total, plus d’une heure est perdue, lors de l’interprétation d’une soixantaine de clichés thoraciques, par exemple … Pour ce type d’activités, l’équipe radiologique est donc revenue à la (bonne vieille) dictée sur cassettes magnétiques, malgré leur risque de perte, d’effacement, ou de débobinage en guirlande…

De même, la validation des comptes-rendus consomme du temps radiologue. Afin d’éviter de majorer encore ce temps, il a été envisagé de simplement valider électroniquement les comptes-rendus, sans les contre-signer à la main. Pour les vacations à fort débit (CR dictés sur cassette), les CR édités sur papier sont encore signés sans autre validation électronique.

Les problèmes et les questions posées

Quelles est la valeur de la validation électronique et à quels critères précis doit-elle répondre ? Code secret à chaque validation ? Caractère définitif de la validation ?

Une signature manuscrite sur le compte-rendu patient doit-elle forcément s’accompagner d’une validation électronique ? Dans ce cas, une secrétaire peut-elle valider électroniquement un compte-rendu signé de façon manuscrite ?

Un compte-rendu validé électroniquement selon les règles établies (et indiquées ci dessus) suffit-il, ou doit-on de plus signer de façon manuscrite ?

Si la signature manuscrite n’est plus obligatoire, quel type d’écrit devrait mentionner que le compte-rendu a été validé ? (Ex : « compte-rendu validé électroniquement par le Docteur X…, le 01/01/2001, à 8h00 »).

Quelques premiers éléments de réponses

Au plan légal et réglementaire, le Code civil a été modifié par une loi du 13 mars 2000 ([2]) pour donner à la signature électronique (avec quelques caractéristiques techniques précises pour en assurer la validité) une valeur identique à celle de la signature manuscrite sur une feuille de papier.

Conformément à l’article 1316-4, le décret n° 2001-272 [3] a précisé les caractéristiques techniques nécessaires pour qu’une signature électronique soit officiellement valide et décrit les impératifs des dispositifs de création et de vérification de signature électronique. Il décrit aussi les caractéristiques des prestataires de certification électronique et prévoit en outre explicitement la possibilité pour une personne de déléguer à une ou plusieurs autres le soin d’apposer pour son compte la signature électronique, ce qui peut être très utile par exemple pour autoriser une secrétaire de confiance à procéder à la signature électronique d’un compte-rendu qui a été imprimé et validé puis signé à la main par le radiologue. Il serait alors possible de préserver au quotidien l’usage des comptes-rendus signés de manière traditionnelle, sans imposer en outre aux médecins la tâche de la contre-signature électronique de l’archive. Mais ce choix ne permet pas la validation à distance d’un compte-rendu, utile par exemple pour les services multisites ou lorsque l’on veut valider de chez soi un compte-rendu qui a également pu être dicté à distance.

Ainsi, l’approche juridique pure conduit à penser que le compte-rendu validé et signé électroniquement, par le système informatique centralisé (et dès lors que celui-ci satisfait bien les prescriptions légales et réglementaires) a bien une valeur légale identique à celle de nos classiques comptes-rendus radiologiques dont nous conservions pieusement un double sur papier pelure dans nos archives radiologiques.

Au plan pratique

Au delà de cette réponse théorique, il reste cependant à définir dans chaque service et établissement les protocoles d’utilisation pratique de ces systèmes, après avoir soigneusement considéré les besoins des patients et des confrères demandeurs d’examens pour produire les documents qu’ils nécessitent pour fonctionner au quotidien, sans oublier qu'en cas de litige, l’archive électronique pourra faire foi (celle du serveur de résultats, ou encore du serveur de RIS ou encore celle du serveur de l’applicatif global hospitalier... le choix technique est vaste et la procédure doit donc être déclinée au plan local).

Ces protocoles doivent répondre à plusieurs exigences élémentaires :

-         Renforcer la confiance des patients et des confrères, et non la fragiliser par l’emploi d’une solution technologique qui resterait mal comprise et mal maîtrisée.

-         Permettre après la validation (théoriquement définitive) d’un compte-rendu de lui apposer tout de même une mention complémentaire pour annuler ou corriger secondairement ce compte-rendu si une erreur est découverte après la signature électronique. Il serait désastreux qu’une erreur qui a été identifiée et corrigée soit maintenue en réimprimant le compte rendu initial invalidé.

-         Produire une solution technique manifestant de manière visuelle simple et convaincante la validation et la signature électroniques des documents, y compris ceux qui seront réimprimés a posteriori à partir des archives.

-         Assurer que le compte-rendu signé à la main pour le valider n’est pas délivré au patient ou au service demandeur avant que la signature électronique ne soit reportée et enregistrée dans le système d’archivage.

-   De nouveaux réflexes de prudence sont à acquérir dans l'usage de ces systèmes de dictée vocale : ainsi, par exemple, lorsque le système s'est mis en veille alors qu'il était resté inutilisé sur la page de dictée d'un compte-rendu, le 'réveil' du système rappelle automatiquement la page affichée à l'écran avant la veille : le risque est grand, si l'on n'y prend garde, de dicter le compte-rendu dans le dossier d'un autre patient.

Des outils techniques, pléthoriques, peuvent aider à satisfaire ces besoins, mais ne formeront réellement des solutions qu’avec une organisation adaptée. Quelques pistes peuvent être proposées pour inventer localement les meilleures procédures :

-        S’il est parfois proposé, grâce à un code numérique apposé sous la signature électronique de pouvoir consulter directement via le document authentifié archivé dans un serveur de résultats, cette faculté doit cependant respecter la confidentialité des données médicales. Dans cette optique, ont pourrait conditionner cette consultation à l’emploi de la carte vitale du patient et/ou de la carte du professionnel de santé concernés, et recommander que chaque consultation d’un document archivé soit enregistrée avec l’identité du demandeur et un horodatage complet.

Il est à noter que cette solution suppose cependant la disponibilité d’un accès internet pour vérifier l’authenticité d’un compte-rendu.

-        L’impression à la fin des comptes-rendus d’une image reproduisant la signature manuelle avec le tampon du service complétée par une mention certificative produite par le système à partir de la clé électronique et permettant un accès direct au compte-rendu sur le serveur de résultat peut être de nature à ne pas trop déconcerter les utilisateurs. On veillera par prudence à ce que les signatures professionnelles ainsi reproduites automatiquement soient distinctes des signatures personnelles privées (notamment bancaires…).

Les auteurs de cette chronique proposent à tous les collègues intéressés de partager leurs expériences de mise en route de systèmes de ce type, puisqu’on est souvent plus intelligents à plusieurs. La comparaison d’expériences diverses, de solutions variées, mais aussi des problèmes et complications imprévues, permettra sans doute de dégager les réponses les plus adaptées et d’éviter de perdre trop de temps à réinventer ce qui fonctionne parfaitement ailleurs. Et puisqu’un appel à contribution vient d’être lancé, la rédaction propose au lectorat de SRH-Info de nous contacter pour nous proposer d’autres questions d’intérêt général pour alimenter les épisodes futurs de cette chronique.


 

[1] Société EDL, http://edl.fr/imagerie_medicale/presentation/index.asp

[2] Art. 1316 C. civ. : « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission. »

Art. 1316-1 C. civ. : « L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité. »

Art. 1316-2 C. civ. : « Lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support. »

Art. 1316-3 C. civ. : « L'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier. »

Art. 1316-4 C. civ. : « La signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie celui qui l'appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l'authenticité à l'acte.

Lorsqu'elle est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. »

[3] Décret 2001-272 du 30 mars 2001 pris pour l'application de l'article 1316-4 du code civil et relatif à la signature électronique NOR:JUSC0120141D