La faute détachable de la fonction du médecin hospitalier
Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie, directeur du diplôme d’imagerie médico-légale de l’Université Paris Descartes
(AP-HP et Université Paris 5)

Une précédente chronique parue dans SRH-Info en novembre 2004[1] soulignait l’obligation pratique d’assurance professionnelle du radiologue hospitalier et évoquait à peine les notions de faute détachable de la fonction et du caractère personnel de la responsabilité du médecin hospitalier, que nous vous proposons de préciser ici.

À l’hôpital public, le médecin hospitalier assume personnellement la responsabilité de ses actes, au plan pénal (c’est à dire lorsqu’il s’agit de réprimer des ‘infractions’ - conduites ou agissements que la société a choisi de réprimer par des peines, prison ou amendes notamment) comme au plan ordinal (c'est-à-dire lorsque les instances disciplinaires de l’Ordre des médecins sont saisies d’une faute contre la déontologie médicale).

En revanche, bien que le médecin soit -par principe- libre de ses actes, non hiérarchisé et personnellement responsable devant son patient pour tout ce qui concerne la pratique médicale[2], les conséquences financières d’une faute médicale survenue dans le cadre du service public hospitalier sont normalement assumées par l’établissement - avec son assureur - comme pour tout agent de l’administration, du directeur au brancardier. C’est la raison pour laquelle, un patient qui veut mettre en cause, aux fins d’une indemnisation, la responsabilité médicale d’un praticien du service public hospitalier doit s’adresser aux tribunaux administratifs, après avoir tenté un recours gracieux auprès du directeur de l’hôpital.

La faute détachable de la fonction

Une exception d’importance existe à la couverture indemnitaire par l’hôpital et son assurance des conséquences financières des fautes des ‘agents publics’ : la faute détachable de la fonction, et donc ‘personnelle’, laquelle a été définie de façon très concise par une très ancienne mais toujours actuelle jurisprudence du Tribunal des conflits[3] par la formule suivante : « faute médicale plus que lourde, d’une gravité exceptionnelle, et inexcusable, ou n’ayant aucun rapport avec l’activité médicale ».

La reconnaissance de cette faute personnelle entraîne une seconde conséquence lourde pour l’intéressé, puisqu’elle le prive également de la protection pénale prévue par l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 en vertu duquel la collectivité publique assure une protection au fonctionnaire faisant l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits n'ayant pas le caractère d'une faute personnelle[4] c'est-à-dire que les frais d’avocats du procès dirigé contre le médecin ne seront alors pas pris en charge par l’hôpital… d’où l’intérêt majeur d’associer à son assurance de responsabilité civile professionnelle (RCP) une garantie de défense et protection juridiques. Cette dernière n’est pas automatiquement associée par tous les assureurs, surtout ceux qui « cassent les prix » pour attirer le chaland.

La formule du Tribunal des conflits appelle un commentaire pour chacune des deux hypothèses évoquées par cette définition :

-                    la ‘faute sans aucun rapport avec l’activité médicale’. Cette première sorte de faute détachable est souvent illustrée par quelques cas -hélas réels mais rares- de vols, rixes, abus sexuels et autres faits volontaires délictueux que nul ne songerait sérieusement à assimiler à la pratique médicale.
Il n’est sans doute pas nécessaire d’y insister, sauf pour souligner que le médecin qui s’écarte d’un rôle strictement médical s’expose à la tentation pour l’administration hospitalière de mettre ce raisonnement en avant pour tenter d’éviter d’indemniser un accident, une maladresse ou une erreur. Un directeur hospitalier avait ainsi temporairement essayé d’adopter cette logique pour se décharger sur un interne de médecine des conséquences d’un accident de brancardage survenu à un patient agité en état d’ébriété, tombé du brancard alors que l’interne de garde tentait, seul, de le faire passer du lit du scanner vers son brancard pour le convoyer d’urgence en neurochirurgie. L’hôpital prétendait qu’il n’entre pas dans les missions de l’interne de brancarder les patients et qu’en tenant seul cette manœuvre à risque, l’interne avait fait preuve d’une imprudence qui l’exposait à une condamnation personnelle pour coups et blessures involontaires. Ainsi, pour l’administration, la faute était-elle détachable de la fonction. Dans ce cas particulier, c’est la pression du syndicat des internes et de celui des Chefs de clinique qui a convaincu l’administration hospitalière à renoncer à son raisonnement et à indemniser le patient au titre d’un défaut d’organisation du service (le manque de brancardiers).
La Cour de cassation a récemment étoffé cette première série de fautes personnelles en jugeant que le salarié qui soumet ses subordonnés (ou ses collègues) à un harcèlement moral -fût-ce avec le prétexte de l’intérêt du service- commet une ‘faute personnelle’, détachable du service[5].

-                    La faute ‘médicale plus que lourde, d’une gravité exceptionnelle, et inexcusable’ : cette seconde catégorie de fautes personnelles mérite également quelques développements.
Historiquement, était toujours citée pour l’illustrer la faute de l’équipe chirurgicale et anesthésique qui avait précipitamment quitté un bloc opératoire en feu sans avoir tenté d’emmener lors de leur fuite leur patiente endormie.     
Plus récemment, le Conseil d’Etat, dans son arrêt n°213931 du 28 décembre 2001 (déjà ci-dessus cité), a reconnu la qualification de faute personnelle détachable du service, pour un médecin chef de service de radiologie qui avait tardé délibérément à révéler une erreur médicale commise dans son service : du fait d’une erreur de flacon, de l’eau souillée avait été injectée lors d’un scanner, au lieu du produit de contraste, et avait entraîné un choc septique chez le patient.        
Ces deux premiers exemples illustrent des cas extrêmes où la faute médicale est ‘non seulement contraire à toutes les règles professionnelles, mais également aux impératifs les plus élémentaires de la conscience[6].        
Mais les Juges ont assez récemment aussi avalisé de nouvelles sortes de fautes médicales personnelles, bien plus angoissantes car plus proches du quotidien : les refus de se déplacer lors d’une garde ou les abstentions de faire appel à un collègue plus spécialisé ou plus compétent pour solliciter un avis rendu nécessaire et urgent par l’état du patient.     
Dans le premier cas, le raisonnement est d’une simplicité imparable : l’hôpital qui a payé un praticien pour qu’il se déplace en cas d’appel refuse de payer pour indemniser le refus de se déplacer, considérant que le praticien s’est délibérément abstenu de son obligation.
Dans le second cas, la Cour de cassation a considéré que l’absence de recours nocturne d’un anesthésiste à un chirurgien, ‘face à des éléments médicaux graves et non expliqués, constitue une faute qui doit être retenue …dès lors qu'elle a privé incontestablement … d'une chance de survie’.[7]. Dans cet arrêt, il est par incidemment rappelé qu’une faute pénale n’est pas ipso facto constitutive d’une faute personnelle détachable de la fonction.

Cas particulier de l’activité libérale du praticien hospitalier et de la recherche

En dehors de ces deux hypothèses classiques, il faut aussi souligner que le praticien hospitalier qui exerce une activité libérale sort ainsi du cadre du service public et doit alors personnellement assumer (avec son assureur) les conséquences financières de ses actes médicaux ainsi que de ceux qu’il délègue ‘sous sa responsabilité et sa surveillance’ aux manipulateurs hospitaliers. L’exercice d’une activité libérale impose donc au praticien concerné de la déclarer à son assureur de RCP dans tous ses détails, pour qu’un éventuel sinistre intervenu dans ce cadre particulier soit pris en charge.

À la suite de plusieurs demandes de collègues hospitaliers ayant rencontré des difficultés ou des tracasseries administratives relatives à leur activité libérale, le Conseil d’administration du SRH étudie actuellement la possibilité d’une assurance collective spécifiquement dédiée à cette activité, et dont la souscription serait proposée avec la cotisation syndicale aux collègues intéressés pour garantir leur défense et leur protection juridique, notamment lors des enquêtes de Cours régionales des comptes.

La participation à des travaux de recherche impose également une assurance ad hoc et il n’est peut-être pas inutile de rappeler que tout promoteur d’un protocole de recherche doit, entre autres formalités, souscrire une assurance particulière pour garantir l’indemnisation des effets indésirables survenus à l’occasion de la recherche.

En conclusion, si la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 a rendu obligatoire la couverture assurantielle de tous les professionnels libéraux et établissements de santé [8] le SRH recommande instamment aux radiologues hospitaliers de bien vérifier qu’ils disposent d’une couverture assurantielle adaptée à leur pratique réelle, c'est-à-dire mise à jour à chaque évolution de la pratique, participation à des actes de radiologie interventionnelle, à une activité de dépistage organisé du cancer du sein ou encore à des travaux de recherche, à des expertises, ouverture d’une activité libérale… La règle est en effet claire après la survenue d’un sinistre : s’il apparaît que l’activité à l’origine du sinistre n’a pas été expressément prévue par le contrat, l’assureur peut refuser sa couverture du risque réalisé… et c’est alors le patrimoine personnel et familial du praticien qui est menacé.


 

[1] « Le radiologue hospitalier a-t-il besoin d'une assurance professionnelle personnelle ? », SRH-info, 2è trimestre 2004, pp. 20 et 21. Les précédentes chroniques médico-juridiques publiées dans SRH-info peuvent être consultées en ligne sur le site web du SRH, à l’adresse suivante : http://www.srh-info.org/radio.asp

[2] Article 69 du Code de déontologie médicale : « L’exercice de la médecine est personnel ; chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes. ».       
Ainsi, du fait de cette responsabilité personnelle du médecin à l’égard du patient, dans une clinique ou un hôpital privés, le patient peut choisir d'attaquer l'établissement et/ou le médecin et lorsque le patient à choisi de demander une indemnisation à la clinique ou à l’hôpital, l'établissement peut ensuite exercer une action récursoire contre son salarié médecin (C. Cass., 13 novembre 2002).

Article 95 du Code de déontologie médicale : « Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions.

En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce. »

Article 97 du Code de déontologie médicale : « Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des nommes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins ».

[3] Arrêt Pelletier du Tribunal des conflits, 3 juillet 1873. Voir, pour plus d’information, le commentaire du Conseil d’État sur son site internet, à l’adresse : http://www.conseil-etat.fr/ce/jurisp/index_ju_la02.shtml

[4] Arrêt N° 213931 du 28 décembre 2001 du Conseil d’Etat : « … aux termes du quatrième alinéa de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction issue de la loi n°96-1093 du 16 décembre 1996 : "La collectivité publique est tenue d'accorder sa protection au fonctionnaire ou à l'ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l'objet de poursuites pénales à l'occasion de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle" »

[5] Arrêt n° 1733 du 21 juin 2006  de la Ch. Sociale de la C. Cass. : « Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; que, d’autre part, la responsabilité de l’employeur, tenu de prendre … les mesures nécessaires à la prévention des risques professionnels liés au harcèlement moral n’exclut pas la responsabilité du travailleur auquel il incombe… de prendre soin de la sécurité et de la santé des personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail ; qu’il résulte de ces dispositions spécifiques aux relations de travail au sein de l’entreprise, qu'engage sa responsabilité personnelle à l'égard de ses subordonnés le salarié qui leur fait subir intentionnellement des agissements répétés de harcèlement moral »

[6] Ainsi que l’écrivait le Pr Paul ROBERT, en commentant un arrêt du Conseil d’État du 26 juin 1959

[7] Arrêt du 17 septembre 2002 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

[8] Cette obligation a été insérée à l'article L. 1142-2 du Code de la santé publique par la loi 2002-303 du 4 mars 2002, modifiée par la loi 2002-1577 du 30 décembre 2002  : « Les professionnels de santé exerçant à titre libéral, les établissements de santéet toute autre personne morale, autre que l'Etat, exerçant des activités de prévention, de diagnostic ou de soinssont tenus de souscrire une assurance destinée à les garantir pour leur responsabilité civile ou administrative susceptible d'être engagée en raison de dommages subis par des tiers et résultant d'atteintes à la personne, survenant dans le cadre de l'ensemble de cette activité.

Une dérogation à l'obligation d'assurance… peut être accordée par arrêté du ministre chargé de la santé aux établissements publics de santé disposant des ressources financières leur permettant d'indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d'un contrat d'assurance.

Les contrats d'assurance … peuvent prévoir des plafonds de garantie. Les conditions dans lesquelles le montant de la garantie peut être plafonné pour les professionnels de santé exerçant à titre libéral sont fixées par décret en Conseil d'État.

L'assurance des établissements, services et organismes mentionnés au premier alinéa couvre leurs salariés agissant dans la limite de la mission qui leur a été impartie, même si ceux-ci disposent d'une indépendance dans l'exercice de l'art médical...

En cas de manquement à l'obligation d'assurance prévue au présent article, l'instance disciplinaire compétente peut prononcer des sanctions disciplinaires. »