Comment éviter de compliquer un pépin médical par une catastrophe juridique ?
1- Attitude envers le malade

Docteur Vincent Hazebroucq, MCU-PH de radiologie à l’Université Paris Descartes et chargé de mission à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP

Plusieurs demandes d’informations de radiologues hospitaliers, troublés ou inquiets après avoir été avisés du déclenchement d’une procédure de réclamation ou d’une plainte contre eux ou contre leur hôpital après un acte radiologique, incitent votre chroniqueur à regrouper et résumer ici les principales réponses fournies à leurs questions.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, l’auteur croit utile de préciser qu’il sait n’être certes pas plus intelligent, ni plus juste, ni meilleur que ses lecteurs, que cet article n’est aucunement une leçon de morale (de quel droit en ferait-il ?) et qu’il ne s’agit pour lui que de partager avec ses collègues les fruits d’une recherche personnelle sur des questions qui l’animent depuis près de 18 ans.

Deux articles successifs vous seront proposés sur cette thématique, le premier sur l’attitude à tenir vis-à-vis du patient et de ses proches, le suivant - à venir dans un prochain numéro de SRH-Info - sur l’attitude à tenir face aux juges, aux enquêteurs ou à un éventuel expert.

Bref rappel du contexte juridique -  Première conséquence sur l’attitude à tenir après un incident ou un accident

Sans paraphraser les précédentes chroniques[1], il convient cependant de rappeler qu’un patient mécontent - à tort ou à raison - peut avoir plusieurs motivations éventuellement associées :

-         Le plus souvent, il veut avant tout comprendre ce qui est arrivé, connaître la vérité. Les patients mettent régulièrement cette demande en premier, et ceux qui s’engagent dans des procédures judiciaires longues, pénibles et douloureuses ont souvent eu l’impression de se trouver face au ‘mur du silence’ médical, sinon d’une ‘omerta’. Depuis la loi 2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, ce droit de savoir et de comprendre est inscrit dans la partie législative du Code de santé publique, qui reconnaît officiellement au patient le droit de savoir et de comprendre ce qui l’attend avant une prise en charge médicale, mais également a posteriori, lorsqu’une complication, une erreur ou un risque initialement méconnu et alors non signalés sont découverts après les soins.[2]

-         Parfois, et surtout lorsque les dégâts ont de sérieuses conséquences physiologiques et/ou financières, le patient réclame une indemnisation pour sauvegarder son avenir et obtenir réparation de son dommage, de son préjudice. Ce droit est également reconnu par la loi 2002-303 d’une part en cas de faute d’un professionnel ou d’un établissement de santé (cette possibilité existait déjà avant la loi Kouchner du 4 mars 2002) et d’autre part, dorénavant, en l’absence de faute démontrable, lorsque ce ne serait que « la-faute-à-pas-de-chance ». Une procédure particulière et un Office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) ont été instaurés pour corriger la dérive antérieure qui conduisait parfois les tribunaux à distordre le droit pour « inventer » une faute indémontrable techniquement, lorsqu’ils considéraient ‘en équité’ que la victime d’un accident médical devait être indemnisée.

-         Enfin, lorsque les choses se sont vraiment mal passées, le plus souvent, que le fil du dialogue s’est rompu entre le patient et le praticien, le patient peut réclamer la punition de son médecin, pour que celui-ci soit ‘mis hors d’état de nuire à d’autres pauvres gens’ et qu’un accident du même type ne puisse ‘plus se reproduire’.

La première chose a toujours garder à l’esprit : c’est le patient qui choisit la procédure de son choix ; simple réclamation, demande indemnitaire, plainte pénale ou à l’ordre des médecins ; il est parfois conseillé par une association de victimes d’accidents médicaux, un autre médecin (la confraternité n’est pas toujours une valeur sûre…) ou un avocat plus ou moins bien informé / compétent en matière de responsabilité médicale. Le métier du patient a également une influence non négligeable : un commissaire de police aura plus probablement une tendance ‘naturelle’ vers la voie pénale, qu’il connaît pour la pratiquer au quotidien, que vers une démarche indemnitaire moins maîtrisée (devant le tribunal administratif, en cas de problème survenu dans le service public hospitalier).

La qualité de la relation médecin malade, avant et surtout après l’incident ou l’accident a cependant une influence primordiale sur ce choix, au point que ce ne sont pas forcément (voire rarement) les plus grosses bourdes médicales qui déclenchent les procédures judiciaires les plus catastrophiques.

En forçant (à peine) le trait, on peut même dire que les très grands escrocs médicaux (il y en a…, peu nombreux heureusement), routiniers des complications, ont développé un tel savoir-faire pour gérer leurs fréquents problèmes qu’ils peuvent sévir durablement…
Á l’inverse le très bon professionnel, chevronné, reconnu et consciencieux, voire méticuleux et scrupuleux, qui n’a peut-être encore jamais vécu de gros pépin, sera tellement désarçonné par une complication imprévue qu’il risque fort de mal réagir, de se murer dans le silence et de fuir le dialogue, écrasé par un sentiment de culpabilité plus ou moins justifié, ou de dire une grosse bêtise.

Le ‘bon praticien’ auquel s’adresse cet article doit comprendre à l’avance le mécanisme de cette réaction humaine - somme toute compréhensible quoique dommageable et comme telle non professionnelle - pour savoir le cas échéant y résister et se rappeler qu’il doit encore plus assister son patient dans les remous et les tourments d’un accident médical.

En conséquence, devant une interrogation, une réclamation, fondée ou non, faisant suite à un acte médical, il faut absolument éviter de rompre le dialogue, d’envoyer paître le malade ou sa famille, de devenir introuvable ou de dire n’importe quoi[3]. Bien sûr, il faut aussi et surtout assurer la continuité des soins et tout faire pour éviter les complications ultérieures qui viendraient aggraver le dommage.

Enfin, il n’est pas superflu de conserver méticuleusement l’historique des faits et notamment de mettre de côté les reliquats ou les emballages des produits ou des dispositifs médicaux utilisés pour une éventuelle analyse ultérieure.

Que dire et faire au décours immédiat d’un incident / accident ?

D’abord, on l’a vu, ne pas fuir le dialogue.
Ensuite ne pas mentir, ce qui majorerait à terme le risque de perte de confiance.

Il ne faut pas non plus hâtivement désigner un coupable, un ‘mouton noir’ sur qui rejeter la faute, ni s’auto accuser trop vite, alors qu’on n’a encore pas compris la réalité des faits ni les mécanismes réels de l’accident : en règle générale, ce n’est effectivement pas ‘à chaud’ qu’il faut affirmer ou reconnaître une éventuelle faute, ce qui, d’ailleurs pourrait être reproché par l’assureur du praticien ou de l’établissement en considérant que cet aveu inapproprié entrave la défense juridique du dossier au point de justifier un refus de prise en charge assurantielle.

Il est souvent suffisant d’indiquer que quelque chose ne s’est manifestement pas passé comme prévu, que l’on n’est pas encore capable d’expliquer ou de comprendre, que l’on est bien sûr désolé, et que tout sera fait d’une part pour limiter ou tenter de corriger les conséquences et d’autre part pour enquêter afin d’apporter toutes les réponses dès que possible.

Il n’est pas inutile d’exprimer des propos de sympathie et ses regrets devant la survenue d’un dommage imprévu. L’empathie ne signifie toutefois pas que l’on doive se mettre à la place du patient ou de sa famille, ni d’ailleurs leur demander de se mettre à la vôtre en affirmant être profondément atteint par ce qui se passe...

Á chaque fois que possible cette première rencontre d’information avec le patient et/ou sa famille doit être préparée en équipe, avec le médecin responsable, afin de tenir un discours cohérent et éviter qu’une ‘information officielle’ ne soit sitôt démentie par un propos de couloir… En fin de rencontre, il n’est pas inutile de faire reformuler par le patient et sa famille ce qu’ils ont compris et retenu de l’entretien, car l’heure, le lieu de cette rencontre et ce qui a été dit doit être relevé par écrit, pour le cas où... Si les conséquences sont graves, la hiérarchie médicale doit être avertie dès que possible, ainsi que l’administration hospitalière. Si le patient ou son entourage expriment des reproches ou des menaces, on peut sans fuir, passer la main à un collègue pour qu’il prolonge le contact et qu’il puisse, en cas de besoin, indiquer que l’hôpital et les collègues sont assurés pour les conséquences éventuellement dommageables des soins et qu’il existe des mécanismes pour assurer au patient une enquête impartiale, établir la vérité des faits et dire si une éventuelle faute justifie une indemnisation.


Comment se comporter dans les suites ?

Bien des patients reprochent à leur médecin de n’avoir pas pris de leurs nouvelles alors qu’ils avaient regagné leur service d’hospitalisation ou qu’ils avaient été hospitalisés, par exemple en réanimation, pour traiter les suites de l’accident. Il ne s’agit évidemment pas d’être envahissant, mais simplement de montrer qu’on continue à se préoccuper de leur santé.

Il faut ensuite se rappeler que la procédure administrative indemnitaire ne fait pas de différence selon que la faute a été commise par tel ou tel médecin, et qu’une faute dans l’organisation du service suffit également à imposer une indemnisation par l’hôpital. Il ne s’agit donc pas d’une reconnaissance de culpabilité et il est parfaitement inutile de se renvoyer la charge de la faute entre praticiens. La seule question pertinente est de savoir si l’hôpital et tous des personnels sont irréprochables, cas auquel l’indemnisation éventuelle pour « aléa » sera à la charge de l’ONIAM, ou si une faute a été commise et si de ce fait le patient a droit à une réparation indemnitaire.

Il est encore du devoir du médecin d’assister son patient dans cette recherche objective et impartiale de la vérité et tout « bidonnage » du dossier, toute tentative de cacher la vérité serait contraire à la déontologie médicale et pourrait convertir une ‘simple faute’ indemnisable mais excusable, en ‘faute personnelle détachable de la fonction’ du praticien, qui devrait alors en répondre personnellement sur son patrimoine personnel.

A plus long terme, la prévention est sans doute la meilleure défense

Au-delà des mesures individuelles immédiates pour circonvenir les conséquences de l’accident, le patient et son entourage apprécieront d’être totalement informés des mesures correctrices ultérieurement mises en œuvre dans le service ou l’établissement pour tenter d’éviter une récurrence  d’accidents similaires : correction des protocoles, renforcement de la formation continue, publication de l’analyse des faits et de ses causes profondes, déclarations de pharmaco- et/ou de matério-vigilance, voire l’instauration, lorsqu’elle n’existe pas déjà dans l’hôpital, d’une procédure d’enquête approfondie systémique, inspirée de la méthodologie du Bureau enquête accidents de l’aviation civile (BEA), en partenariat avec les associations représentatives d’usagers de l’hôpital à la C.R.U.Q.P.C. (Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge).

Pour les praticiens de la radiologie interventionnelle, ajoutons que cette stratégie de gestion et de prévention des risques s’inscrit parfaitement dans la procédure d’accréditation de la qualité des pratiques professionnelles[4] et peut valider l’obligation d’évaluation des pratiques professionnelles (EPP).

Toutes ces démarches peuvent, en prime, éviter parfois le recours du patient à la voie pénale puisque l’hôpital aura devancé sa volonté du ‘Jamais plus cela’, souhait qui inspire souvent les procédures punitives pénales ou ordinales.

Au total, le médecin ou l’hôpital aura montré qu’il se sait perfectible et potentiellement défaillant comme toute personne ou œuvre humaine et qu’en conséquence il fait tout pour mériter, entretenir ou renforcer la confiance de ses usagers, confiance qui n’est désormais plus automatique ni inconditionnelle.


 

[1] Les chroniques précédentes sont librement disponibles sur le site du SRH (http://www.srh-info.org/radio.asp) ainsi que, régulièrement actualisées, sur le site web personnel de l’auteur (www.hazebroucq.net).

[2] Art. L. 1111-2 du CSP : « Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Lorsque, postérieurement à l'exécution des investigations, traitements ou actions de prévention, des risques nouveaux sont identifiés, la personne concernée doit en être informée, sauf en cas d'impossibilité de la retrouver…. »

[3] En partie, cette chronique est inspirée par un colloque organisé par l’AP-HP le 23 octobre 2006 et intitulé « Sécurité des soins et information du patient ». Les actes de ce colloque, publiés en 2008, sont disponibles au Département de la communication interne de l’AP-HP.

[4] Décret n°2006-909 du 21 juillet 2006 relatif à l'accréditation de la qualité de la pratique professionnelle des médecins et des équipes médicales exerçant en établissements de santé (J.O n° 169 du 23 juillet 2006 page 11029 texte n° 8, NOR: SANH0622118D) modifié par les décrets n°2006-1559 du 7 décembre 2006, (J.O n° 285 du 9 décembre 2006 page 18690 texte n° 38, NOR: SANS0623995D) et n°2008-92 du 30 janvier 2008 (JORF n°0026 du 31 janvier 2008 page 1899 texte n° 39 NOR: SJSS0771868D )