Comment éviter de
compliquer un pépin médical
par une catastrophe juridique ?
2- Comment (ne pas)
se conduire face au juge
Docteur Vincent Hazebroucq, MCU-PH de radiologie à l’Université Paris Descartes et chargé de mission à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP
Le précédent numéro de SRH-info vous a présenté quelques recommandations sur l’attitude à tenir face à un patient, lorsqu’un souci médical est malencontreusement venu ternir sa prise en charge.
La présente chronique aborde une (éventuelle) étape ultérieure, en supposant que le patient mécontent et/ou ses proches ont saisi la justice pénale en ‘portant plainte’ et qu’une enquête préliminaire, ou une instruction a démarré.
De nos jours, il faut parfois en vérité fort peu de choses pour que la confiance initiale laisse place à la défiance voire à l’esprit de vengeance. Le médecin doit donc se préparer, avec toute son équipe, à faire face à la survenue du ‘pépin’ médical, réel ou non, minime ou majeur, et même à d’hypothétiques suites judiciaires.
Petit rappel du contexte juridique
Le médecin doit garder à l’esprit trois faits essentiels :
- L’intensité d’une complication n’est pas nécessairement proportionnelle à la gravité de l’éventuelle faute médicale: une petite ‘étourderie’, parfois même un simple aléa médical non fautif, peut entraîner des conséquences désastreuses (handicap, décès…) alors qu’une énorme ‘bourde’ peut parfois, par chance, ne causer aucune conséquence fâcheuse.
- Notre système judiciaire dimensionne plus généralement sa réponse en fonction de l’intensité de la conséquence qu’en fonction de la gravité de l’acte causal (qu’il soit médical ou pas : AVP, accidents du travail…). Ainsi une ‘atteinte involontaire à l’intégrité de la personne’ (anciens ‘coups et blessures involontaires’) causée par une ‘maladresse’, une ‘imprudence’, une ‘inattention’, une ‘négligence’ ou un ‘manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements’ pourront se terminer devant le Tribunal correctionnel s’il en est résulté une invalidité permanente ou une incapacité temporaire (ITT) prolongée, ou bien ‘seulement’ devant le tribunal de police, à l’instar d’une banale contravention routière, s’il n’y a pas eu d’ITT supérieure ou égale à 3 mois (le seuil est ramené à 8 jours, pour une atteinte volontaire à l’intégrité de la personne).
- C’est le patient - plus ou moins judicieusement conseillé, parfois par un avocat ou par une association de victimes d’accidents médicaux - qui choisit de porter le conflit judiciaire sur le terrain indemnitaire (devant le tribunal administratif pour un acte pratiqué dans le secteur public hospitalier) ou sur le terrain pénal avec une demande principale punitive éventuellement assortie d’une demande d’indemnisation.
Le décor de la présente chronique est donc planté : le ‘théâtre judiciaire’
Considérons donc que le patient a fait le choix de la voie pénale, qui lui aura peut-être été présentée comme la plus simple pour lui (il ‘suffit’ d’aller porter plainte au commissariat, à la gendarmerie ou d’adresser un courrier (non timbré) au Procureur de la République), la plus économique, voire gratuite, puisqu’à la condition que le Parquet (= les services du Procureur) ne décide pas de classer l’affaire ‘sans suite’, l’enquête est conduite par un magistrat, en principe « à charge et à décharge ».
Dans ces circonstances, le médecin se trouve en face d’un système à vocation répressive dont il doit intellectuellement en comprendre et accepter les modes de fonctionnement, de pensée, et les habitudes. Il doit surtout savoir que sa conduite, ses propos, pourront très largement influencer l’attitude des enquêteurs et du magistrat, au moins autant que les faits qui lui ont été reprochés initialement par le patient.
Quelques exemples d’attitudes parfaitement antiproductives sont ci-après évoqués, en forçant délibérément le trait par souci didactique… Cependant, quoique caricaturales ces attitudes et propos puissent paraître, le lecteur aura peut-être le sentiment qu’il aurait pu tomber dans certains de ces travers, si fréquents dans les tribunaux Ils ont donc le redoutable inconvénient de faire instantanément songer plus ou moins consciemment aux magistrats que le médecin déféré devant eux se comporte comme un banal délinquant, et ne mérite donc finalement que d’être traité comme tel…
Avant de vous les présenter, il paraît à nouveau nécessaire
au rédacteur de ces lignes de rappeler qu’il n’est pas question pour lui de
faire une leçon de morale à ses lecteurs.
Si au contraire, ces scénettes ont l’heur de vous instruire, tout en vous
distrayant, votre chroniqueur aura atteint ses objectifs.
La première chose à ne jamais dire à un juge : « Mettez vous à ma place »
Le magistrat, chargé d’une mission répressive au nom de la Société, ne saurait donc s’identifier à un délinquant, alors qu’il doit plutôt lutter pour ne pas trop se mettre en sympathie avec les victimes. Il est donc inutile et même funeste de lui demander de faire l’effort de changer de rôle.
La deuxième chose à ne jamais dire au juge : « je n’ai pas eu de chance ; je fais tout le temps comme celà depuis des années et il ne s’était jamais rien passé… »
Croyant de la sorte se défendre devant le juge, le médecin en réalité lui ferait entendre qu’il est aux yeux du Juge un ‘dangereux récidiviste’. Ce type de ‘défense’ rappelle immanquablement au magistrat les trop nombreux ivrognes, traînés devant le tribunal pour conduite en état d’ivresse, qui affirment quasi systématiquement qu’ils n’ont pas, ce jour là, bu ‘plus que d’habitude’. Et le juge, qui se retrouve ainsi dans une situation banale pour lui, sanctionnera sévèrement le praticien, sans état d’âme.
Si au contraire, le médecin avait prétendu, tout contrit et penaud, ne pas comprendre ce qui a pu lui passer à l’esprit, regretter profondément cette aberration, et qu’il ne le fera jamais plus, il aurait peut-être eu une chance d’obtenir une indulgence et décrocher un ‘n’y revenez pas’.
La troisième chose à ne jamais dire au juge : « tout le monde fait comme moi »
Les Juges, comme les médecins hospitaliers, ont souvent beaucoup, beaucoup trop de travail : mis en face d’un médecin, d’un soignant, le magistrat peut avoir la tentation de se demander si le jeu vaut la chandelle et si le temps qu’il pourrait dépenser contre un professionnel œuvrant comme lui au service du public ne serait pas plus judicieusement consacré à poursuivre de ‘vrais brigands’.
Mais si le praticien offre ainsi au Juge l’exemple d’une dérive fréquente, voire généralisée, le réflexe quasi-pavlovien de l’urgence d’une punition exemplaire est déclenché. Le juge se dit, en quelque sorte : « J’en tiens un ; je vais le punir très sévèrement pour ‘faire un exemple’ et le faire savoir urbi et orbi… avec un peu de chance les autres se le tiendront pour dit ».
Tout parent reconnaîtra ici une stratégie classique d’éducateur, qu’il a peut-être lui-même tenu devant ses enfants, par exemple à l’occasion d’un chahut collectif. Et lesdits enfants n’auront pas manqué, sans aucune efficacité, de protester sur l’air du ‘c’est pas juste’… L’exemplarité de la peine est un principe essentiel de la justice répressive ! A l’école, c’était la raison d’être de la classique mise ‘au coin avec un bonnet d’âne’, et cela a longtemps motivé les exécutions publiques…
La quatrième chose à ne jamais dire au juge : « J’étais bien obligé, je ne pouvais pas faire autrement »
Cette réponse est pourtant tentante… Bien des collègues s’accommodent, souvent à contre cœur, de ‘petits arrangements’ avec les textes règlementaires ou avec les recommandations professionnelles. De même, bien des automobilistes ‘prennent le risque’ de franchir occasionnellement une ligne continue ou de passer au feu orange, lorsqu’ils sont pressés… Les juges entendent donc sans cesse des conducteurs verbalisés pour une infraction incontestable, leur expliquer qu’ils étaient ‘obligés’ de la commettre, tel ce chauffeur-livreur cependant déjà privé de permis pour toute une série d’excès de vitesse, qui déclarait au juge après une nouvelle fois s’être fait contrôler en infraction : « Je suis livreur, je suis obligé de conduire, même si vous m’avez pris mon permis ». Cette improductive ‘défense’, qui rappelle au juge tant de conduites délictuelles, doit donc être bannie de notre stratégie défensive – même, et surtout, si on a vraiment cette impression : lorsque l’on est pris en infraction, il est superflu ‘d’en rajouter’ en semblant ne pas regretter ce que l’on a fait - mais seulement déplorer de s’être fait prendre - et ainsi de laisser croire que l’on est déjà prêt à récidiver, dès la sortie du tribunal.
La cinquième chose que les juges n’apprécient pas, c’est de subir une leçon de droit de la part des prévenus
S’il advient toutefois que l’on pense avoir des raisons juridiques valables d’échapper à la condamnation, il faut, bien sûr, les exposer au tribunal, sans tomber cependant dans le travers de faire à cette occasion un cours de droit. Il vaut mieux donner au juge le sentiment qu’on lui fait confiance pour tirer les conséquences juridiques des faits qu’on lui expose, plutôt qu’il ait le sentiment d’être pris pour un incapable ou un imbécile à qui il faut tout expliquer par le menu.
Les médecins disent parfois que les enseignants seraient plus souvent qu’à leur tour des patients difficiles ; ils vaut mieux qu’ils sachent, parallèlement, que les médecins sont trop souvent, pour certains magistrats, des justiciables difficiles. Votre chroniqueur, médecin et enseignant, redoute de cumuler ces deux facteurs de risque… ;-)
Pour ceux qui imagineraient que ces descriptions ne sont que purs produits de l’imagination débordante de l’auteur de ces lignes, et pour ceux qui désireraient constater d’eux mêmes l’effet dévastateur de tels propos sur des magistrats, deux options peuvent être proposées : aller passer une demi-journée de RTT au Palais de justice le plus proche pour y suivre une audience correctionnelle, ou se procurer le film « 10è Chambre, instants d’audience », un documentaire de Raymond Depardon (Arte Vidéo, 2004), filmé au Palais de Justice de Paris. La réalité dépasse souvent la fiction.