Aspects médicolégaux des nouveaux scanners volumiques multibarrettes
Vincent HAZEBROUCQ

Les progrès techniques majeurs des nouveaux imageurs TDM induisent naturellement des adaptations radicales des pratiques médicales

Avant l’adoption de ces modifications, il faut :

- Contrôler leur validité juridique et déontologique, car ‘tout ce qui est possible n’est pas toujours souhaitable ni même permis’…

- Comprendre leurs conséquences médico-légales potentielles ; il suffit de rappeler l’exemple des cassettes vidéo d’échographie pour comprendre qu’une modification apparemment anodine de la façon de se comporter peut amener, involontairement, d’importantes conséquences juridiques.

Toute innovation doit donc être scrutée attentivement, non seulement au plan technique, médical et financier, mais aussi au plan médico-légal. Il ne s’agit pas , évidemment de se montrer pusillanime face au progrès, mais simplement de pratiquer un choix suffisamment éclairé pour ne pas avoir ensuite de mauvaises surprises. Sauf omission de l’auteur de ces lignes, les technologies nouvelles de TDM volumique peuvent à la fois influer sur :

          Les indications des examens ;

          Leurs protocoles de réalisation ;

          Leurs modes d’interprétation ;

          La communication de leurs résultats ;

          Leur archivage.

Chacun de ces points doit donc faire l’objet d’un examen soigneux par l’équipe radiologique, en particulier lors de la mise en place d’un nouvel appareillage et de l’élaboration des procédures y afférant : les quelques réflexions et informations suivantes visent à vous aider dans votre propre réflexion… et non à s’y substituer !

1          Les indications

Rappelons tout d’abord que pour le juge, un acte technique médical doit entrer dans l’une des quatre catégories suivantes :

Le médecin, lui pèse ses indications par référence à ses connaissances professionnelles, son analyse de la situation clinique et son obligation générale de moyens du médecin. Celle-ci, limitée seulement par le devoir de prudence a été maintes fois réaffirmée par les juges, et transcrite dans le Code de déontologie médicale (décret 6 sept. 1995, article 39 :« Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage … un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé…»).

La prudence face à l’innovation est également rappelée par la Directive Euratom 97/43 relative à la radioprotection des patients lors des examens médicaux les exposant aux rayonnements ionisants : - « … tout nouveau type de pratique … est justifié avant d'être généralement adopté » ; « les types de pratique existants … peuvent être revus à la lumière de connaissances nouvelles et importantes »…  ou « Le médecin demandeur et le praticien réalisateur sont associés, …, au processus de justification » ce qu’il faut comprendre comme un devoir partagé des deux médecins pour le contrôle de l’indication comme pour l’obtention du consentement éclairé…). Cette directive impose aussi une optimisation du protocole utilisé en fonction de l’appareillage et du cas clinique.

2          La réalisation de l’acte technique

Il n’est sans doute pas toujours inutile de redire que les « personnes habilitées - sans être médecins - à effectuer certains actes d’électroradiologie médicale » (c'est-à-dire les manipulateurs d’électroradiologie médicale) exercent légalement « …sous la responsabilité et la surveillance d’un médecin en mesure d’en contrôler l’exécution et d’intervenir immédiatement » et « …sur prescription médicale » (article L 4351-1 du Code de la santé publique).

Encore faut-il rappeler que cette prescription émane du médecin qui contrôle le manipulateur (le plus souvent un radiologiste) et qu’elle peut « … faire référence à des protocoles préalablement établis, datés et signés par le médecin sous la responsabilité duquel exerce le manipulateur d'électroradiologie médicale. » (décret n°84-710 du 17 juillet 1984, modifié en 1997 et 2000, définissant les compétences des manipulateurs). Il ne saurait donc aucunement s’agir d’une « ordonnance d’examen d’imagerie » établie par un clinicien demandeur.

La réalisation pratique doit ensuite répondre aux exigences de qualité du code de déontologie médicale formulées en particulier par les articles 32 et 33 : article 32 CDM: « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents. » et article 33 CDM : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés. ». En cas de litige, c’est le rôle de l’expert de dire si les choses ont été réalisées conformément aux bonnes pratiques normalement exigibles de la part d’un médecin normalement compétent et diligent placé dans les conditions de l’acte critiqué.

3                   Le résultat et son interprétation

Le compte-rendu est évidemment indispensable pour concrétiser l’acte médical de radiodiagnostic : le médecin est défini par la loi (article L. 4161 du Code de la santé publique) comme celui qui a le monopole du diagnostic et de la thérapeutique et l’acte d’imagerie par l’association de  « au minimum une ou plusieurs images et un compte-rendu » établi par le médecin qui a pris la responsabilité de l’acte, l’a réalisé (ou fait réaliser) et qui le facture (NGAP, arrêté 27/03/1972, modifié).

Avec les techniques actuelles l’interprétation ne devient plus réalisable que sur écran informatique, qui seul permet le refenétrage,  le défilement dynamique, éventuellement comparatif, la constitution d’images composites… Ces techniques nécessitent évidemment un apprentissage préalable, et des conditions techniques convenables, à prendre en compte au plan architectural

Le tri des images est un acte médical, et doit n’avoir lieu éventuellement qu’après leur interprétation; (l’écrire, si on ne conserve qu’une partie des images produites)

Les examens urgents doivent être interprétés … en urgence… c’est-à-dire prioritairement sur les autres examens
(réponse du ministre B. Kouchner à une question parlementaire de Cl. Huriet, au sénat)

Les images fournies doivent être :

·         « Exactes », selon un arrêt classique de la chambre civile de la cour de cassation du 3 avril 1939, ce qui oblige le médecin à éviter, ou pour le moins à signaler les artéfacts, notamment de reconstruction ;

·         Conformes au compte-rendu ; il faut à ce propos souligner le risque des mensurations de distance ou de densité, lorsque les valeurs visibles sur les clichés ne correspondent pas fidèlement à ce qui figure dans le compte-rendu.

·         De qualité  et de quantité suffisantes, pour convaincre et démontrer que le travail a été bien fait … mais pas excessives puisqu’il faut respecter le principe d’optimisation de la radioprotection, imposé par la directive 97/43 Euratom déjà susmentionnée.

Nombre de difficultés ultérieures résultent d’images trop spectaculaires, et médicalement peu utiles. L’expérience a démontré que la scanographie, pas plus que l’échographie ne doit être pratiquée comme un spectacle, sous peine de retombées médico-judiciaires lourdes.

4                   La communication des résultats                             

-        Deux facettes doivent dorénavant être considérées pour le choix de la voie de communication des résultats de l’examen, depuis la loi du 4 mars 2002 accordant au patient un accès direct à ses données de santé :

Traditionnellement, cette communication se fait en France, soit courrier (interne à l’hôpital ou externe, postal), parfois complété par téléphone en cas d’urgence, soit par l’intermédiaire du patient, à qui l’on confie son examen pour qu’il le porte au médecin de son choix.

D’autres médias de communication sont envisageables, tels que le courriél, un serveur web, voire un cyber-réseau médical, qui imposent de respecter les prescriptions légales de la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978, ainsi que celles de la loi du 4 mars 2002 (instaurant notamment l’article L. 1111-8 du CSP réglementant l’activité des hébergeurs informatiques d’archives de santé).

Dans tous les cas, le radiologiste doit garder à l’esprit que cette transmission du résultat au médecin clinicien matérialise pour le juge le passage du relais médical ; le radiologiste reste donc responsable des suites de l’examen et des éventuels diagnostics posés tant que ce relais auprès du patient n’est pas assuré par un autre médecin. Il est donc prudent de conserver une preuve de cette transmission pour les urgences et les cas graves.

Comme dit ci-dessus, l’accès direct du patient à ses données de santé est fixé par la loi du 4 mars 2002, complétée par les décrets du 30 avril 2002 et du 6 juin 2001, ainsi que par l’arrêté du 1er octobre 2001 relatifs aux frais de reproduction (limités au prix coûtant, hors personnel, par exemple 2,75 € pour un cédérom).

-                    Une fois les destinataires des informations précisés, il reste à envisager le support d’information à fournir :

Il est clair que la multiplication des images produites par les imageurs modernes incite –pour ne pas écrire contraint- à pratiquer une sélection des informations transmises et à s’interroger sur le(s) support(s) idéal (idéaux) pour la communication et la conservation des résultats. Comme souvent, les nouveaux supports n’ont pas totalement les mêmes caractéristiques que les précédents. On peut par exemple confronter rapidement le film argentique traditionnel et le cédérom selon différents critères (tableau 1). La conclusion est évidente : le cédérom ne peut manifestement pas remplacer le film dans toutes ses caractéristiques, ni réciproquement, ce qui ne suffit évidemment pas à rejeter ce nouveau support qui apporte des innovations intéressantes, dont la maniabilité et l’économie puisqu’un seul cédérom peut archiver l’équivalent numérique d’une boite entière de films 36*43 pour le prix d’un seul film…

Un groupe de travail ad hoc de la Société française de radiologie a été organisé pour définir les conditions optimales d’emploi du cédérom pour la communication des images médicales et leur archivage. Plusieurs pionniers sont venus lors des dernières JFR faire le point sur leurs expériences, véritablement encourageantes, tant en ville qu’à l’hôpital public ou privé.

 

Fonctions du support

Film argentique

Cédérom

Détecteur

Radio conventionnelle : +
Autres techniques: -

-

Visualiseur

Oui (négatoscope)

Oui (hardware + software)

Transporteur

Oui ++

Oui +++

Archivage

Oui ++

++ ?

Preuve

Oui ++

?

Communication enrichie

?

+++  sons, textes, images animées

Tableau 1 : comparaison des caractéristiques du film et du CD-rom

 

Remarque : classiquement, les radiologistes français transmettent à leurs collègues les images produites, et se réservent la possibilité d’en conserver une copie plus ou moins exhaustive pour leur usage interne, ou pour l’enseignement ou la recherche.

Il faut observer que les radiologistes nord-américains pratiquent différemment : ils ne délivrent traditionnellement qu’un compte-rendu, et conservent durablement les images originales, consultables sur-place. En contrepartie de cet archivage dont ils sont strictement responsables, ils ont le devoir de pratiquer une lecture comparative pour chaque nouvelle interprétation.

La dématérialisation des images numériques vient remettre en question les pratiques des deux côtés de l’Atlantique : si elle permet aux cliniciens américains de revendiquer plus fortement le droit d’accéder simplement aux images de leurs patients, elle soulève symétriquement la question de l’archivage des images par les radiologistes français.

En effet, la possibilité technique avérée de graver un cédérom ne dicte pas automatiquement ce qu’il faut y graver :

          la totalité des images natives produites (sous DICOM), refenétrables et reformatables pour privilégier l’exhaustivité et la comparaison ultérieure ou la réinterprétation (avec pour conséquence la possibilité de ne pas archiver en radiologie). Il faut alors prévoir un lecteur DICOM sur le cd.

          Graver une sélection d’images formatées et fenêtrées dans un format ubiquitaire (JPEG, par exemple), pour privilégier l’efficacité de la communication avec le demandeur; (ce qui incite en revanche à archiver l’examen en radiologie, éventuellement sur un autre cédérom…) Il n’est alors plus indispensable d’ajouter un logiciel lecteur.

          Graver aussi un compte-rendu textuel, vocal, voire un diaporama commenté ?

          Imprimer un compte-rendu illustré par quelques images : impression sur papier laser qualité photo, jaquette du cd ?

          Des solutions mixtes peuvent être imaginées à loisir : plusieurs cédéroms, associés ou non à un serveur web…

5                   L’archivage des résultats (voir aussi l'article de ce site spécifiquement consacré en octobre 2007 pour actualiser ce sujet)

Les comptes rendus d’imagerie doivent classiquement être conservés « indéfiniment » par l’hôpital public; et au moins 30 ans pour le secteur privé, puisque la loi du 4 mars a instauré un délai de prescription de la responsabilité médicale des professionnels et des établissements de santé de 10 ans qu’il faut cependant augmenter du délai de minorité de 18 ans et même de la durée restante pour une éventuelle grossesse soit au maximum 9 mois.

Le dossier du département hospitalier d’imagerie radiologique n’a pas de réglementation actuelle ; il existe toutefois une recommandation officielle de prévoir un archivage pour toute installation l’imagerie en coupe dans une récente circulaire de la DHOS (référence DHOS/SDO/O4 n° 2002-250 du 24 avril 2002 relative aux recommandations pour le développement de l'imagerie en coupe par scanner et IRM NOR : MESH0230214C, publiée antérieurement dans SRH info)

La conservation des dossiers médicaux hospitaliers soufre depuis plusieurs années d’une réglementation confuse et obsolète dérivée de la loi sur les archives de France du 3 janvier 1979 et d’un arrêté du 11 mars 1968 sur les durées de conservation des archives notamment hospitalières,(article R-710-2-1 CSP) :

La définition même du dossier médical hospitalier est extrêmement instable, sans cesse reformulée différemment, incluant tantôt « les radiographies », tantôt seulement les « …comptes-rendus des examens d’imagerie » ou tantôt encore, comme dans sa dernière version (décret 2002-637 du 29 avril 2009) « …les informations relatives à la prise en charge en cours d'hospitalisation: état clinique, soins reçus, examens paracliniques, notamment d'imagerie ». Cette rédaction est donc suffisamment fluctuante et imprécise pour permettre de nombreuses interprétations divergentes.

On peut au moins considérer que rien n’oblige légalement l’hôpital ni le service de radiologie à archiver durablement la totalité des images produites par un imageur moderne : au demeurant, il ne faut pas oublier que les radiologistes pratiquent depuis longtemps une sélection des images qu’ils donnent en échographie, mais aussi en radiologie vasculaire, ou plus anciennement lors de tout usage de la radioscopie.

Il est cependant réaliste et sécurisant de souhaiter conserver quelques années la totalité ou une importante sélection des coupes de scanner, sur un support abordable financièrement, et techniquement durable tel qu’un cédérom ou un dévédérom. La difficulté tient alors dans le format à adopter : le standard DICOM a l’avantage incontestable de permettre le refénétrage ou les reformatage des coupes d’imagerie, mais impose un logiciel lecteur spécifique qui devrait idéalement pouvoir tourner sur les différentes versions de systèmes d’exploitations des PC et des Macintosh Apple, et sur les systèmes UNIX. Il serait souhaitable en outre que le radiologiste puisse enregistrer le réglage de visualisation qu’il a utilisé et qu’il préconise pour la lecture de ses images.

En résumé, un examen d’imagerie médicale est un acte médical qui consiste à préconiser, préparer et programmer, réaliser ou faire réaliser, dans de bonnes conditions de fiabilité et de sécurité un examen produisant des images, puis analyser et commenter ces images, en tenant compte du contexte médical du patient, délivrer ces informations et en conserver des archives…

Le radiologiste doit donc s’intéresser à chacune de ces étapes et en assurer la responsabilité, sous peine de virer progressivement à un simple fournisseur d’images médicales. Il doit se rappeler que son compte-rendu, réglementairement indispensable, doit respecter un certain nombre de règles de forme et de fond, que le relais par un autre praticien le dégage seul du devoir de suivi.

Il doit simultanément se garder de créer des problèmes là où, autrefois il réalisait très sereinement le tri des images conservées et communiquées, et éviter de s’acharner à se mettre en péril juridique, en distribuant les bâtons qui serviront à nous battre?

Il doit enfin œuvrer sans répit pour que les organismes professionnels de la radiologie établissent pour l’imagerie les ‘Bonnes pratiques techniques et cliniques’ qui préciseront ce que l’on donne en imagerie moderne au patient, ce que l’on montre aux cliniciens, ce que l’on garde dans le dossier clinique ou d’imagerie… Cette tâche échoit idéalement, au G4 radiologique, sous le contrôle méthodologique de l’ ANAES. Pourquoi attendre que d’autres, moins spécialistes que nous (sinon moins compétents) élaborent pour nous une réglementation, qui sera forcément plus rigide et plus statique qu’un corpus de bonnes pratiques professionnelles ?

Article publié dans SFR Info : chronique de radiovigilance, janvier 2003, Vincent HAZEBROUCQ