ORGANISATION DE L’IMAGERIE ET ACCUEIL DES URGENCES HOSPITALIÈRES

Docteur Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH de radiologie, radiologiste et légiste qualifié, expert agréé par la Cour d’appel de Paris, et responsable du diplôme universitaire d’imagerie médico-légale de l’Université Paris 5 René DESCARTES

En une trentaine d’années, la radiologie a considérablement accru son utilité et son efficience dans la prise en charge des urgences médicales et chirurgicales. Elle oriente le diagnostic et la thérapeutique de plus de la moitié des patients, et, devenue interventionnelle, s’impose également de plus en plus fréquemment dans le traitement lui-même.

Cependant, l’imagerie médicale n’a pas été suffisamment prise en compte lors de l’élaboration de la réglementation actuelle de l'accueil et du traitement des urgences. De ce fait, dans de nombreux hôpitaux, petits ou grands, les urgences sont devenues un véritable casse-tête pour l’équipe radiologique : elles perturbent en permanence la programmation des examens, alors que le raccourcissement de la durée moyenne de séjour, le développement de l’hospitalisation de jour ou de semaine, et les attentes du public exigeraient que la radiologie « réglée » soit d’une ponctualité parfaite.

De nombreuses questions surgissent régulièrement ici et là quant à la meilleure façon de s’organiser pour répondre aux besoins médicaux, avec des ressources humaines limitées, en respectant la réglementation, peu bavarde et imprécise, de l’accueil des urgences hospitalières[1].

La présente rubrique tentera de livrer les pistes discutées lors de deux séances d’études sur ce sujet, organisées lors du congrès 2001 de la Société française de médecine d’urgence et des journées françaises de radiologie d’octobre 2001 (une actualisation très modeste a été effectuée en 2009).

Deux sortes de repères légaux ou réglementaires doivent guider la réflexion.

Le monopole médical et la définition de l’acte d’imagerie diagnostique

La première donnée clé est qu’en France, les médecins détiennent de la loi[2] le monopole (sauf exceptions précisément définies par une loi) des activités de diagnostic ou de traitement de maladies… et donc des actes professionnels prévus dans la NGAP[3], nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l'Académie nationale de médecine. Ainsi, dans la NGAP, l’acte radiologique est un acte médical qui comprend au minimum une ou plusieurs images et un compte-rendu établi par le médecin qui a réalisé l’acte et qui le facture.

Le technicien manipulateur d’électroradiologie médicale est (par exception au monopole décrit ci-dessus), défini comme « … toute personne qui, non médecin, exécute habituellement, sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin en mesure d'en contrôler l'exécution et d'intervenir immédiatement, des actes professionnels d'électroradiologie médicale… Les manipulateurs d'électroradiologie médicale exercent leur art sur prescription médicale. »

Il faut ajouter que le décret 2003-270 du 24 mars 2003 précise que le manipulateur doit travailler "sous la responsabilité et sous la surveillance directe du médecin".

La réglementation des structures d’accueil hospitalier des urgences

L’organisation de la présence et de l’interprétation radiologique dans les structures médicales d’urgence étaient jusqu'à 2006 fixées par une réglementation qui différenciait :

-         les SAU [4], où tous les actes d'imagerie en radiologie classique, échographie, scanographie et les explorations vasculaires, notamment l'angiographie devaient pouvoir être effectués sur le champ 24 heures sur 24, tous les jours de l'année, tandis que

-         les UPATU [5], où seuls les actes de radiologie classique et d'échographie étaient exigibles 24h/24 et 7j/7. Les examens radiologiques pouvaient la nuit et les jours fériés être effectués par un technicien manipulateur sous la responsabilité des médecins urgentistes, à la condition qu'un contrôle de l'interprétation soit effectué par un radiologiste dans les douze heures.

Depuis la dernière réforme du 22 mai 2006 (Décrets 2006-576 et 2006-577), ces structures sont réunies sous le terme de "structures d'urgences", et toutes les exigences relatives à la radiologie ont disparu des textes officiels, sinon la possibilité de réaliser des examens radiologiques à tout moment, soit sur place, soit par convention au sein du 'réseau de prise en charge coordonnée des urgences'...

Les conséquences de cette réglementation croisée

Á la lecture de cette réglementation, certains points sont lumineux :

-         Pour les examens de radiologie courante, le manipulateur travaille pour, sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin, pas nécessairement radiologiste, mais « présent et capable de surveiller l’exécution et d’intervenir immédiatement » ;

-         Ce médecin prend la responsabilité de ces actes (donc de leur facturation) et doit personnellement établir à chaque fois un compte-rendu ; dans une UPATU, le contrôle de l’interprétation par un radiologiste est obligatoire dans les 12 heures.

-         Tout examen radiologique (qu’il soit pratiqué dans un SAU ou une UPATU, comme d’ailleurs dans un cabinet de ville ou une clinique) doit impérativement comporter un compte-rendu : il est donc hors de question de laisser repartir les patients, notamment la nuit ou le week-end, avec des radiographies non interprétées.

En revanche, l’organisation radiologique du SAU était obscure, la législation prêtant à discussion sur deux grandes questions:

  1. Dans un SAU, la radiologie hyperspécialisée exigeait la disponibilité permanente d’un radiologiste compétent.
    Mais devait il être toujours présent (garde) ou peut-il être seulement d’astreinte ?
  2. Surtout, le flou est grand concernant la radiologie courante du SAU :

-         les plus pessimistes déduisent que le médecin radiologiste doit y être présent et disponible en permanence pour tous les actes de radiologie, radiologie courante ou examens hyperspécialisés, et qu’il doit tout interpréter au fil de l’eau.

-         Les plus optimistes considèrent qu’en l’absence de précision contraire, il est également possible dans un SAU d’accepter une première lecture des examens radiologiques courants par les médecins urgentistes, avec un contrôle de l’interprétation dans les douze heures. Les examens hyperspécialisés restent évidemment du ressort du radiologiste (de garde ou d’astreinte)

Deux solutions divergentes sont envisageables

  1. Première solution : l’interprétation des examens les plus simples par les urgentistes

Pour une majorité d’urgentistes, il semble possible de proposer une organisation voisine de celle qui domine aux USA, où les examens radiologiques courants sont souvent réalisés sous le contrôle direct des urgentistes et interprétés par eux.

Toutefois, cette solution exige quelques précautions préalables :

-         L’établissement de protocoles d’imagerie formalisés par écrit, datés et signés, par une concertation ‘à froid’ entre les urgentistes, les radiologistes et les cliniciens d’aval, pour les principales situations courantes d’urgence : examens à réaliser, critères de qualité, règles d’interprétation. Ces protocoles, une fois établis doivent être validés par un vote de la Commission médicale d’établissement, afin de devenir ‘opposables’ à tous.

-         Une formation ad hoc de tous les urgentistes de l’hôpital par les radiologistes, et notamment la validation par eux de la formation à la radioprotection des patients des médecins effectuant ou faisant effectuer sous leur contrôle des examens d'imagerie

-         Une possibilité permanente d’un recours radiologique à la demande de l’urgentiste (dénommé ‘wet reading’ aux USA)

-         Relecture différée systématisée (conserver toutes les images)

  1. Une seconde solution est préconisée, du moins au plan théorique par une majorité de radiologistes : l’interprétation par un radiologiste de tous les examens.

Cette solution impose la présence permanente aux urgences d’un ou plusieurs radiologistes et pose donc de gros problèmes d’effectifs pour assurer un service continu 24 heures sur 24, 7 jours par semaine, 365 jours par an. L’on doit alors s’interroger sur la meilleure solution, la garde ou le service posté (3 x 8 h ou 4 x 6 h ?).

Cette proposition impose de prévoir dans un hôpital actif, un double circuit radiologique : un circuit ‘froid’ pour les examens réglés, et un circuit ‘chaud’ pour les urgences internes et de porte. Les ressources humaines, comme la disponibilité des scanners X ou des IRM limitent évidemment la faisabilité de cette solution

D’autre part, la question d’une interprétation à distance par télé radiologie doit être considérée ; ce pourrait être un moyen de mutualiser les ressources pour les centres hospitaliers qui n’occupent pas leur radiologiste urgentiste en permanence. Mais comment organiser cette télé-interprétation d’urgence ? Comment la financer ? Comment valoriser cette activité ?

  1. Comment trancher ?

Le pragmatisme conduit à penser que le manque de moyens humains faisant loi, seule la première solution est réaliste dans l’état actuel du système hospitalier français. Encore faut-il s’assurer de mettre en place toutes les précautions pour éviter qu’en cas d’accident médical, le radiologiste de garde ou d’astreinte qui n’aura pas interprété sur le champ un examen simple nocturne ne serve de fusible ou de bouc émissaire pour éviter d'engager la responsabilité des dirigeants hospitaliers ou de l'Agence régionale qui n'ont pas attribué les moyens nécessaires à un fonctionnement plus sécurisé.

Par ailleurs, avant de se satisfaire totalement de cette solution, ne convient-il pas de relever les conclusions d’un récent rapport de l’agence américaine équivalente de notre ANAES, (Agency for Healthcare Research and Quality, AHRQ) qui relèvent que l’un des moyens les plus efficaces pour réduire les erreurs médicales aux urgences serait d’imposer une lecture immédiate par des radiologistes, au lieu des urgentistes [6] ?

En guise de conclusion :

Les recommandations les plus évidentes pour éviter la majorité des problèmes sont, in fine, les suivantes :

-         Accorder si possible les moyens aux objectifs annoncés, et réciproquement lorsque c’est impossible ;

-         S’entendre à l’avance sur une stratégie validée au niveau de l’établissement ;

-         Protocoliser et organiser le travail en équipe ;

-         Écrire ce que l’on doit faire, faire ce qui est écrit  et écrire ce qui a été fait ;

-         Recenser et étudier tout évènement indésirable, tout incident pour une véritable gestion du risque et de la qualité ;

-         Refuser l’optimisme béat conduisant au laisser-aller :
Il faut être bien conscient que les attitudes du type «…on se débrouillera bien… y’aura qu’à… » deviennent après un accident
« y’avait qu’à… » et sont traduites en langage judiciaire par « négligence, irrespect des précautions de prudence ou de sécurité imposés par la loi ou le règlement»

Au terme de cette rubrique, le lecteur regrettera sans doute de ne pas disposer d’une réponse limpide et absolue… le droit, pas plus que la médecine ne sont pas des sciences exactes… Le chroniqueur a même l’affront de penser que c’est là toute la grandeur de notre beau métier !

 


[1] Articles R-712-63 à R-712-83 et D-712-52 à D-712-72 du Code de la santé publique (CSP);

[2] Art. L-4161 du Code de la santé publique ;

[3] Nomenclature générale des actes professionnels des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et des auxiliaires médicaux, fixée par l’arrêté du 27 mars 1972 modifié, 3è partie: actes utilisant les rayonnements ionisants ;

[4] SAU = Services d’accueil et de traitement des urgences (article D712-58 du CSP)

[5] UPATU = Unité de proximité d’accueil et de traitement des urgences (article D712-65 du CSP).

[6] Rapport 2001 de l’ Agency for Healthcare Research and Quality (AHRQ):
“Making Health Care Safer: A Critical Analysis of Patient Safety Practices.
Chapter 35 "Reducing Errors in the Interpretation of Plain Radiographs and Computed Tomography Scans… : The misinterpretation of plain radiographs and cranial computed tomography (CT) scans by non-radiologists in emergency departments or in urgent care settings is of particular concern. The prevalence of this patient safety issue may result from the large volume of patients receiving these radiological tests, which are often done outside normal working hours, when radiologists are not available to provide an initial interpretation.”