Responsabilité et autorité médicales :
évolutions récentes et perspectives nouvelles

Docteur Vincent Hazebroucq, MCU-PH de radiologie à l’université Paris Descartes et à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris vincent.hazebroucq@sap.aphp.fr et www.hazebroucq.net

Au moment de la rédaction de cette chronique, la presse nationale régionale et audiovisuelle fait ses choux gras de la récente suspension administrative d’un radiologue libéral du Nord – Pas de Calais, motivée par de ‘graves dysfonctionnements’ relevés dans ses pratiques par la Caisse primaire d’assurance maladie, puis par la Direction des affaires sanitaires et sociales et enfin par l’Autorité de sûreté nucléaire. Des expertises rétrospectives, qui devraient concerner plusieurs milliers de patients sont envisagées par les autorités qui, disent-elles, n’entendent pas transiger avec la qualité et la sécurité des soins. Il n’est bien sûr pas question, pour le SRH de s’aventurer dans l’analyse de ce cas particulier, qui ressort actuellement de la Justice, mais en revanche il semble légitime d’indiquer comment ce fait-divers peut-être illustratif ou révélateur des profonds bouleversements en cours de la responsabilité et de l’autorité médicales.

Bien des choses ont déjà été dites et écrites sur la judiciarisation (l’intrusion du droit) et la juridicisation (l’intervention de la justice et des juges) dans des secteurs de la société qui en étaient traditionnellement préservés, comme la médecine, le sport, la religion, la politique... Faut-il encore s’en désoler, s’en offusquer, au risque de passer pour des ‘papys grincheux accrochés au souvenir du bon vieux temps’ ? Il semble plus productif d’en tirer des propositions juridiques permettant de limiter, voire d’éviter, les conséquences perverses de ces évolutions de nos sociétés modernes. Dans cet esprit, plusieurs tendances de fond semblent à mettre ensemble en perspective pour repenser collectivement la responsabilité médicale du radiologue, notamment hospitalier.

Le nécessaire renouvellement des fondements de la confiance du public

Les politiques, la presse, les associations de patients et de consommateurs le rappellent à tout bout de champ : le public veut continuer à pouvoir faire confiance à la médecine et au système de santé du pays mais cette confiance n’est désormais plus aveugle ni permanente ni inconditionnelle. Hôpitaux et médecins doivent donc donner aux patients et aux associations qui les représentent les preuves d’une recherche systématique et permanente de la meilleure qualité et de la meilleure sécurité possibles des soins.

Naguère, le diplôme et le statut social du médecin suffisaient généralement à rassurer les patients, qui en outre connaissaient parfois de longue date le médecin, sinon sa famille. De nos jours, les praticiens sont plus souvent inconnus, parfois même étrangers à la région ou au pays.

Le public interpelle les autorités de santé et les somme dorénavant de garantir, par des procédures et une réglementation adaptées, au besoin innovantes, que les praticiens ont des niveaux de formation et de pratique suffisants pour assurer des soins de qualité. Dans le même temps, la Justice est mise en demeure de réprimer toujours plus sévèrement les éventuelles fautes médicales et d’octroyer des indemnisations de plus en plus généreuses pour compenser les préjudices individuels qui résulteraient d’une qualité insuffisante des soins. Nous en avons vu les conséquences économiques directes sur le montant de nos assurances médicales, depuis une dizaine d’années.

Pour satisfaire aux injonctions du public, nos tutelles, qui n’ont pas toujours été parfaitement vigilantes dans le passé pour faire appliquer les réglementations existantes, convertissent de plus en plus de règles professionnelles en nouveaux articles de réglementation, ouvrant la voie à de nouvelles formes de contrôle et parfois aussi de nouvelles sanctions, ce qui encadre de plus en plus notre pratique et a fait proposer l’expression de harcèlement textuel.

Certains pensent cependant que rien n’a réellement changé, puisque la réglementation ne fait qu’officialiser des règles connues et souvent respectées de longue date par une majorité de professionnels. On pourra ajouter que les ‘bons professionnels’ – ce que la plupart d’entre nous supposent être - n’auraient pas grand-chose à craindre de cette expansion réglementaire, et tout à gagner en revanche de la répression des abus qui déconsidèrent notre profession et entachent notre honneur collectif.

Et cela n’est pas totalement faux… ni totalement vrai, lorsque la mécanique de production réglementaire s’emballe et sort des rails de la logique qui la justifie : il ne devrait s’agir que de réglementer le seuil du minimum admissible, en deçà duquel on ne doit jamais s’aventurer dans une pratique respectable[1].

La profession comprendrait alors facilement la légitimité évidente de cette réglementation et approuverait majoritairement la répression des écarts de conduite des imprudents pris la main dans le sac de l’inadmissible.

Surtout, elle pourrait s’attacher à définir par ailleurs des objectifs d’amélioration, bien plus ambitieux, vers lesquels notre pratique doit tendre en permanence pour progresser sans cesse en qualité et en sécurité. Plusieurs propositions, depuis 1997 vont dans ce sens, de référentiels de qualité pour la radiologie et pour l’imagerie, produits par des hospitaliers, des universitaires et des libéraux, avec l’appui de la SFR, qui pourraient à terme aboutir à la reconnaissance par la HAS d’un label de qualité pour l’imagerie médicale. Ce label unifierait et simplifierait grandement les formalités ultérieures de certification de nos structures professionnelles.

Un organisme professionnel impartial, rigoureux et transparent dans son fonctionnement, ses règles et ses procédures, devrait exister pour valider, sanctionner positivement, les efforts des uns et des autres pour s’élever vers l’excellence et garantir au public, qui le nécessite et le réclame de plus en plus bruyamment, une information loyale et claire sur la compétence, les aptitudes, les surspécialisations des professionnels de santé pour tel ou tel type de pratique ou de situation clinique.

Le sceau de l’Université ni les titres hospitaliers initiaux (ancien interne, ancien chef de clinique) ne suffisent en effet désormais plus, pour répondre à cette attente bien naturelle de nos patients ; ces critères traditionnels ont été ruinés par le double effet de l’accélération considérable (1) du tempo du progrès médical et technologique, et (2) par la libre circulation européenne - sinon mondiale des praticiens de santé - et demain plus encore par la télémédecine et le ‘tourisme médical’ : ce qui est en jeu n’est plus tant la certification des connaissances et des compétences acquises lors de la formation initiale que la garantie d’un effort permanent de remise en cause des pratiques pour les évaluer et améliorer sans cesse leurs qualité et sécurité.

Nous devons bien reconnaître que l’organisme idéal décrit au paragraphe précédent n’existe pas encore, en dépit de la multiplicité des structures professionnelles dont les professions médicales ont été ou se sont dotées au fil du temps et des réformes, sans que leurs missions n‘aient été définies de façon précise et claire, ni identiques d’une discipline ou d’une spécialité à une autre. La HAS pousse ainsi de tout son poids pour que les diverses disciplines et spécialités médico-chirurgicales, dont la radiologie, se dotent d’un collège professionnel (au sens anglo-saxon de cette expression) susceptible de correspondre à ce nouveau profil. Nous trouvons ici un second enjeu professionnel, après l’établissement rigoureux des normes, et qui exige avant tout diplomatie, probité et rigueur professionnelle. Il faudra ré-assembler autrement des briques fonctionnelles qui existent souvent déjà, réparties dans un certain désordre, entre les Académies de médecine ou de chirurgie, l’Ordre des médecins, les syndicats médicaux et leurs multiples annexes (URML…), les diverses sociétés savantes généralistes ou spécialisées, les collèges d’enseignants, et les innombrables autres collèges, associations ou fédérations de formation continue, d’évaluation, d’accréditation… dans lesquelles plus personne, médecins, patients ni tutelles, ne se retrouve. Lorsqu’une structure existe, avec une équipe humaine pour l’animer, souvent de façon passionnée et dévouée, il n’est jamais aisé de la remettre en question, de la réorienter, de la supprimer ou de la fusionner avec une autre ; il faudra bien pourtant le réussir pour regagner la confiance du public et éviter que la multiplication des faits divers n’aboutisse au désastreux sentiment de « tous pourris ».

La nouvelle perspective esquissée avec la HAS et les dispositifs de FMC, d’accréditation/certification et l’évaluation des pratiques

Peu à peu, inspirés par quelques réussites étrangères, patients, professionnels de santé et tutelles s’accordent pour  remettre en question l’idée - fausse mais tenace - selon laquelle une bonne formation des professionnels et une réglementation adaptée, complétée par l’indemnisation et la répression des fautes devaient suffire, avec la conscience et le sérieux des professionnels, à assurer la bonne qualité du système hospitalier. L’expérience prouve chaque jour que cela n’est, hélas, pas toujours le cas…

C’est ainsi que se sont successivement développés les concepts de formation médicale continue obligatoire, puis d’évaluation de la qualité des soins, ensuite d’accréditation et de certification des établissements de santé, et plus récemment d’évaluation des pratiques professionnelles et d’accréditation des pratiques[2].

Selon le travers bien français, ces concepts, sitôt officialisés par une loi, ont d’abord abouti à la création de diverses institutions et procédures administratives plus ou moins bien articulées, que la Haute autorité de santé (HAS) entend désormais simplifier et harmoniser… « Vaste programme !… », aurait pu dire le Grand Charles…

Au bout du compte, la croyance d’une qualité et d’une sécurité des soins fondées sur la seule responsabilité individuelle des acteurs de santé (avec leurs inévitables corollaires de chasse au lampiste et de lynchage médiaticojudiciaire) laisse progressivement place au constat de la nécessité d’une analyse systémique pour une sécurité globale  (c’est-à-dire une analyse d’ensemble du système ou de l’organisation); en postulant que l’être humain étant par essence faillible, il convient de construire des systèmes ‘robustes’, capables en permanence de dépister systématiquement, et même d’autocorriger les dysfonctionnements avant que ceux-ci n’entraînent de conséquences néfastes. C’est cette logique de gestion des risques, qui après s’être imposée dans les secteurs de l’aéronautique, de la chimie et du nucléaire, s’introduit dans le monde de la santé par le biais de la certification des pratiques interventionnelles et chirurgicales[3].

Responsable mais pas coupable ; la logique des RMM : mieux vaut prévenir que punir

La formule "Responsable mais pas coupable" a malencontreusement été rendue fameuse lors de la mise en cause de la responsabilité pénale des décideurs politiques au cours du ‘procès du sang contaminé’. Elle recouvre cependant un réel enjeu pour la sécurité de systèmes complexes – tels le système de santé - surtout lorsque des décisions doivent être prises dans des conditions d’incertitude scientifique. La médecine fait en effet partie de ces situations où des décisions doivent souvent être prises, avec des conséquences variées, sans que l’on ne soit formellement certain a priori de faire le meilleur choix, puisque les preuves de l’evidence based medicine ne concernent qu’une proportion très limitée des situations cliniques.

Pour faire progresser les connaissances et pour faire reculer le nombre d’accidents médicaux, la mise en commun des expériences, bonnes ou mauvaises, est une nécessité de santé publique. Alors que la tendance spontanée est de se contenter de faire connaître ses succès, chacun sait cependant plus ou moins consciemment depuis l’enfance que l’on apprend bien plus de ses erreurs que ses succès.

C’est le fondement du développement dans nos hôpitaux, sous l’impulsion de la HAS, de la pratique des RMM (revues de mortalité - morbidité), lors desquelles les praticiens sont invités à se communiquer et à étudier en détail les cas où tout ne s’est pas bien passé. Ces RMM sont l’une des façons de valider l’obligation d’EPP.

Cependant, dans le contexte déjà souligné de la juridicisation de notre société, bien des praticiens rechignent à décrire publiquement leurs erreurs, puisqu’existe le risque non négligeable que leurs propos ne soient ensuite considérés comme des aveux de responsabilité juridique, ou que les documents de ces réunions ne soient saisis et exploités pour rechercher des coupables à condamner.

Les Nords-Américains, sans doute plus pragmatiques que nous dans ce domaine, et ayant pâti plus vite que nous des conséquences désastreuses d’un ‘désir par trop prépondérant de chercher des coupables plutôt que de proposer des solutions’ (selon la formule de Danielle LABERGE, Rectrice de l’Université du Québec à Montréal) ont adopté une solution radicale : une loi fédérale états-unienne interdit depuis quelques années l’exploitation judiciaire des propos et des documents présentés lors des RMM. La HAS envisage donc de préconiser cette solution pour la France, ce qui supposera de convaincre les patients et les Politiques qu’il vaut sans doute mieux renoncer à punir quelques coupables pour mettre en place une prévention efficace qui évitera de nombreux accidents du même type, plutôt que de s’acharner sur un praticien en espérant que l’exemplarité de la peine (la plus sévère possible) incitera les autres à plus de prudence ou de vigilance.

Ces quelques exemples récents nous montrent que nos tutelles se sont dans l’ensemble adaptées bien plus rapidement que nous aux exigences sociétales nouvelles des populations. Nous avions fort à faire par ailleurs avec les exigences sanitaires et les formidables progrès techniques qui ont repoussé considérablement les limites de nos possibilités diagnostiques et thérapeutiques... et d’autre part, il est incomparablement plus facile de concocter et de publier de nouvelles exigences réglementaires que de les mettre en œuvre, surtout lorsqu’on ignore délibérément la recommandation officielle d’en chiffrer précisément les contreparties financières et d’en assurer leur financement préalable.


 

[1] Malencontreusement, il arrive trop souvent ces derniers temps, par exemple en matière de radioprotection ou de contrôle qualité des appareillages médicaux que la définition des normes réglementaires de bonne pratique dérive inconsidérément vers l’idéal, plaçant de ce fait une bonne partie de la profession dans l’illégalité et dans l’instabilité juridique puisqu’à tout moment, l’application bête et méchante de la réglementation peut sanctionner des professionnels de santé consciencieux et dévoués à qui l’on ne peut reprocher que de ne pas avoir su ou pu s’aligner rapidement sur un repère trop hâtivement et trop haut placé. Mais il faut aussi rappeler, hélas, que bien souvent des représentants de nos profession participent à ces travaux de normalisation, choisis parmi les plus enthousiasmes, ou les plus performants, et qu’ils oublient alors parfois l’intérêt du plus grand nombre voire le sens de la mesure, lors de la construction de « leur » cathédrale réglementaire. Il y a certainement un important travail à faire, sans doute avec la HAS pour contrer ces dérives.

[2] Le lecteur intéressé par ces questions est invité à consulter l’ouvrage « Management en radiologie hospitalière », publié en 2006 par la SFR et le laboratoire GUERBET, sous la direction de Jean-Pierre PRUVO, Marc KANDELMAN et Guy FRIJA, et plus particulièrement le chapitre 11 ‘Accréditation et certification en santé’, par Pascal BEROUD et Vincent HAZEBROUCQ (pp. 175 à 190), ainsi que les sites web officiels référencés en fin de ce chapitre.

[3] Voir par exemple sur ces approches systémiques l’ouvrage ‘To err is Human’ de l’Institute of Medicine de l’Académie des sciences États-Unienne :  http://www.nap.edu/openbook.php?isbn=0309068371 ou les ouvrages du pionner de la discipline, l’Anglais James REASON, notamment ‘L’erreur humaine’ (traduite en français en 1993 et publiées aux PUF, Presses universitaires de France) ou encore ‘La conduite des systèmes à risque’ par René AMABERTI (également publié aux PUF).