Téléradiologie, promesses et délires
Vincent Hazebroucq, MCU-PH de radiologie à l’Université Paris Descartes et à l’AP-HP,
Directeur du diplôme de l’Université d’imagerie médico-légale de l’Université Paris Descartes.

La téléradiologie est, quantitativement parlant, l’une des applications mondiales majeures de la télémédecine. Divers facteurs, techniques, réglementaires et organisationnels peuvent l’expliquer, comme ils justifient aussi ses différences de déploiement entre différents pays. Les comparaisons internationales restent cependant utiles pour importer les meilleures idées des autres et tenter d’éviter de reproduire leurs erreurs et leurs dérives.
La téléradiologie est donc une excellente occasion pour cet exercice comparatif (ou de ‘benchmarking’), d’autant plus opportun que ces pratiques décollent enfin en France, hélas dans un désordre réglementaire désolant pour les radiologues qui ont tenté depuis plusieurs années et jusqu’ici sans grand succès d’être entendus par le Ministère de la santé et par la HAS, en réclamant que les bonnes pratiques soient facilitées et que les dérives soient efficacement et rapidement réprimées (1) . La présente chronique propose à ses lecteurs une mise au point actuelle sur ces pratiques, bonnes ou mauvaises, en insistant le cas échéant sur les enjeux juridiques, déontologiques et éthiques.
L’ÈRE DES TÉLÉRADIOLOGUES HIBOUX :
la téléradiologie pour l’optimisation de la permanence des soins, télédiagnostic et téléexpertise


Si on laisse de côté les premières expériences scientifiques ou technologiques, suscitées souvent par le programme spatial Apollo dans l’objectif de transmettre pour interprétation les images médicales produites dans des lieux isolés (engins spatiaux mais aussi navires, stations pétrolières offshore, bases polaires…) et si l’on écarte également les utilisations militaires américaines (les deux Guerres du Golfe et celle du Kosovo), la première utilisation massive de téléradiologie, s’appuyant sur une offre commerciale abondante a été aux USA la réorganisation de la permanence radiologique nocturne ou de week-end :


-    De nombreuses structures radiologiques ont rapidement considéré, dès  la fin des années 1980 et surtout dans les premières années 1990,  que lorsque l’activité nocturne ou de week-end était peu intense, l’adoption d’un système de transmission des images produites en dehors des heures ouvrables vers une station de visualisation plus ou moins sophistiquée (station de bureau, ordinateur portable…), permettait aux radiologues d’organiser la permanence radiologique sous la forme d’astreintes à domicile au lieu de gardes sur place : Ces outils permettent en effet, sans se déplacer pour chaque examen, de répondre sur le champ aux demandes radiologiques les plus courantes : on peut recevoir et lire les images dès leur réalisation et adresser à l’urgentiste un compte-rendu provisoire (par téléphone, télécopie ou e-mail) dans l’attente de l’interprétation définitive effectuée dès la reprise du travail ‘de jour’.

Ces dispositifs permettent aussi de constater immédiatement le cas échéant que la situation radiologique est plus complexe qu’il n’apparaissait initialement, et qu’un déplacement s’impose.    

L’amélioration de qualité de vie apportée par ces systèmes de télétransmission implantés à leurs domiciles, voire mobiles (ordinateurs portables, Smartphones ou tablettes graphiques iPad et autres (2) …) a très rapidement contribué au succès de ces systèmes auprès de nos confrères américains, dont plus de la moitié se sont équipés de ce type d’outils (3)  et a favorisé le développement de nombreuses compagnies commerciales de téléradiologie  sous le terme familier de ‘Nighthawk Industry’.   


Au plan médico-légal et financier, cette procédure permet au radiologue américain de conserver le contrôle de l’activité d’imagerie de son hôpital ou de sa clinique et de continuer à facturer les actes radiologiques au tarif des urgences, ce qui ne serait pas possible aux USA, si la lecture radiologique était différée le lendemain matin ou évidemment s’il la déléguait aux urgentistes.


-    La mutualisation des gardes et astreintes, entre plusieurs sites radiologiques dépendant d’un même groupe ou d’une même administration (notamment l’Administration des soins aux vétérans de l’Armée US) s’est ensuite rapidement imposée, pour limiter le nombre d’astreintes des sites peu actifs, mais aussi, pour ceux dont l’activité était plus soutenue pour en amortir les surcharges ponctuelles et pour répartir les examens entre plusieurs radiologues spécialisés (neuroradiologues pour les urgences neurologiques, Radiopédiatres, etc.). Cet avantage qualitatif évident a favorisé l’acceptation par les urgentistes et autres cliniciens de l’éloignement de leur réponse radiologique ; il répondait aussi aux critiques du rapport de l’AHRQ (équivalent états-unien de notre HAS), qui avait relevé qu’une grande partie des erreurs médicales observées dans les services d’urgence résultait d’un défaut d’interprétation des examens par des radiologues (4) voire même par des radiologues de la bonne spécialité.


-    Ayant constaté que la relecture définitive ne corrigeait pas plus de comptes-rendus provisoires établis sur des images télétransmises que lorsque les examens étaient interprétés sur place, les pratiques ont progressivement glissé de façon plus ou moins consciente et formalisée, d’une première télélecture provisoire (avec confirmation ultérieure par un compte-rendu définitif) soit vers un véritable télédiagnostic définitif, signé et validé électroniquement par le téléradiologue, soit ailleurs, vers la téléexpertise (deuxième avis donné à un radiologue par un autre radiologue, pour confirmer son avis, le préciser, ou discuter de la prise en charge ultérieure).


En France, la téléneuroradiologie s’est ainsi généralisée à partir du milieu des années 1990


Dans pratiquement toutes nos régions, des applications de téléradiologie se sont développées dans les domaines de la neuroradiologie / neurochirurgie, avec une extension plus récente pour les urgences neuro-vasculaires.


Le souci historique impose de rappeler que la première offre française organisée de télé-expertise radiologique émanait du service de radiopédiatrie du Professeur Jean-Philippe MONTAGNE à l’hôpital Armand TROUSSEAU de Paris, et qu’elle a inspiré les neuroradiologues et neuro-chirurgiens de l’AP-HP pour le réseau TELIF.


Rappelons aussi que plusieurs institutions hospitalières américaines prestigieuses (Mayo Clinic, MGH…) avaient imaginé créer, dès les premières années 1990, des filiales de téléradiologie pour rentabiliser leurs équipes radiologiques abondantes et parfois pléthoriques, en proposant des prestations de téléexpertise, devant échapper autant que possible à la pression fiscale et surtout judiciaire américaine en localisant ces filiales dans des paradis fiscaux et juridiques (Bahamas, Bermudes, Caïmans…). La demande solvable de téléexpertises, notamment internationales, n’a en réalité pas été aussi importante qu’escompté de sorte que ces compagnies n’ont pas eu le développement espéré et ont rapidement été supplantées par les offres de l’Industrie des Téléradiologues hiboux.


L’ÈRE DES TÉLÉRADIOLOGUES FANTÔMES :
La sous-traitance des interprétations en téléradiologie low-cost pour développer la productivité des structures radiologiques US


La généralisation d’une volonté de mutualisation des gardes et astreintes, couplé à l’évident intérêt d’une spécialisation des réponses radiologiques a ensuite entrainé aux USA puis dans d’autres pays et notamment en Inde à Bangalore, la multiplication de firmes commerciales de téléradiologie proposant aux radiologues d’abord l’externalisation de l’interprétation provisoire de leurs urgences puis aussi le sous-traitement de l’interprétation de certains examens programmés : des radiologues américains ont en effet considéré qu’ils pourraient trouver leur intérêt à satisfaire un nombre croissant de demandes d’examens scanner ou irm, nonobstant les possibilités limitées de développement de leurs équipes locales, en augmentant leur parc d’appareils et en faisant réaliser la lecture des images et ‘la préparation’ des comptes-rendus par ces sociétés de téléradiologie.


En principe, ces comptes-rendus doivent être établis à distance par des téléradiologues tout aussi qualifiés et certifiés que s’ils travaillaient localement, et être systématiquement cosignés et validés par le radiologue local, qui relit rapidement l’examen et reverse une partie de ses honoraires au téléradiologue (5). Le temps épargné grâce à cette organisation permet aux radiologues locaux d’accepter plus d’examens que s’ils devaient personnellement tout interpréter, ce qui accroît leur chiffre d’affaire et les revenus de l’équipe médicale, surtout lorsque les interprétations délocalisées sont ‘outsourcées’ dans des pays émergents, comme l’Inde ou la Chine, dont le faible niveau du coût de la vie permet de facturer la lecture d’un scanner ou d’une irm moins d’une demi-douzaine d’euros...


Il va de soi que la qualité et la pertinence du compte-rendu final dépendent fortement de la qualité de la première lecture, mais aussi et surtout du soin apporté à la relecture et à la validation, au besoin après correction et/ou complément du projet de compte-rendu.


Dans ce modèle, le radiologue local conserve en principe l’entière responsabilité de l’acte radiologique - depuis le contrôle de l’indication de l’examen, le choix du protocole technique, la validation de la qualité des clichés et même de son interprétation définitive -puisqu’il doit en principe relire les images et valider le compte-rendu avant de le signer… Surtout, il peut vérifier que le mode d’expression du résultat d’examen correspond bien aux attentes et aux habitudes locales et il peut assurer le « service après-vente » de l’examen auprès du patient, de sa famille et de ses médecins cliniciens.


Les premiers dérapages signalés aux USA…


Nos lecteurs auront évidemment compris que la nature humaine étant ce qu’elle est, même chez des médecins radiologues américains, il fallait s’attendre à ce que certains - trop pressés, débordés ou simplement négligents - se laissent aller à valider et signer, ou simplement délivrer les comptes-rendus provisoires sans les avoir effectivement contrôlés, oubliant que leur responsabilité individuelle ne serait en rien atténuée par l’éventuelle erreur de leur sous-traitant : le radiologue local reste bien sûr pour le patient le seul interlocuteur garant de la qualité globale de l’acte, quitte, ensuite éventuellement, à se retourner contre le lecteur off-shore pour tenter de mettre en cause sa coresponsabilité… cela lui impose toutefois de mener ce procès devant le tribunal du pays du sous traitant et d’appliquer le droit national ainsi que la procédure concernée…


L’American College of Radiology condamne désormais clairement cette pratique du sous-traitement des interprétations radiologiques, dénommée aux USA ‘ghost-reading’ ou ‘ghost-reporting’ (6), par analogie au ‘ghost-writer’, le rédacteur anonyme qui ébauche ou écrit l’article ou l’ouvrage officiellement signé par une personnalité (7). En mai 2006, l’ACR, dont l’une des attributions est de certifier les radiologues habilités à exercer aux USA a écrit : « Il est inéthique et frauduleux pour un médecin qui n’a pas personnellement interprété les images d’un examen radiologique de signer le compte-rendu ou de s’attribuer celui d’un autre médecin en laissant croire qu’il en est l’auteur. Cette pratique, connue sous le nom de Ghost-Reporting doit être strictement prohibée. » L’externalisation des interprétations n’est cependant pas totalement interdite aux USA par l’ACR, à la condition toutefois que les patients soient avisés que leurs interprétations sont sous-traitées à l’extérieur voire à l’étranger, que les radiologues télélecteurs possèdent tous les diplômes et autorisations d’exercice qui leurs permettraient d’exercer sur place, qu’ils signent et assument la responsabilité de leurs interprétations et qu’ils aient une assurance professionnelle garantissant le patient américain au même niveau que leurs professionnels locaux. Ces conditions sont devenues tellement drastiques que les firmes internationales de télémédecine délaissent depuis peu le marché américain pour tenter de s’implanter en Europe, et notamment en France (8).


Par ailleurs, la délocalisation de la lecture des examens ouvre la porte à un autre type de fraude, également dénoncée par plusieurs auteurs américains et par l’ACR
: certaines firmes de téléradiologie low-cost ont poussé le 'cost-killing' jusqu’à faire ‘préparer’ les comptes-rendus par des ‘Physicians Assistants’ (PA) ou ‘Radiologists Assistants’ (RA) c’est à dire des personnels non médicaux diversement formés pour lire de façon répétitive un seul type d’examens, p. ex le scanner cérébral sans injection, pour ‘avancer’ le travail d’analyse des images des ‘véritables’ téléradiologues. L’État fédéral américain vient d’engager des poursuites contre l’une des firmes américaines de téléradiologie, Reddy Solutions (RSI, Atlanta) dont le président – radiologue, le Dr Rajashakher REDDY est accusé d’avoir fait interpréter plus de 40 000 examens radiologiques entre mai 2007 et janvier 2008 par ses ‘Radiology Practice Assistants’ et les avoir validé sans avoir personnellement contrôlé les images. Il encourt une peine maximale de 20 ans de prison et une amende pouvant aller jusqu’à 250 000 US$. Aux USA, quand on se fait prendre, on ne plaisante plus…


Enfin, la concurrence commerciale des firmes de téléradiologie ne s’est évidemment pas exercée uniquement entre elles :
certaines d’entre elles ont développé une concurrence agressive vis à vis des radiologues locaux qui avaient ‘introduit le loup dans la bergerie’, en proposant ensuite à la direction de leur établissement un accord direct avec la firme de téléradiologie permettant de répartir entre eux deux les bénéfices au lieu de les partager à trois… (9) Et certains gestionnaires ont écouté le chant des sirènes.


… et rapidement aussi en France


Malgré tous les efforts de la profession radiologique, réunie avec le Conseil national de l’Ordre des médecins et en accord avec l’AFPPE, représentant les manipulateurs, le Guide du bon usage de la télémédecine, publié en janvier 2007 ou la Charte de la téléradiologie, plus récemment parue, n’ont pas été rendu opposables par nos tutelles. Sans doute cela n’aurait-il pas suffi à éviter les errements, mais cela aurait probablement contribué à les limiter :


- Les lecteurs auront sans doute en tête les gros titres de la Presse nationale de décembre 2007 et janvier 2008 évoquant le « Scandale des quatre cabinets du nord », qu’un radiologue libéral, par ailleurs armateur étranger (!) et visiblement affairiste faisait fonctionner dans le plus parfait mépris des règles élémentaires d’hygiène, avec des personnels non qualifiés ni formés à la radioprotection des patients et bien sûr sans la présence continue d’un médecin, ce qui l’a conduit devant les Tribunaux. En prime, il  interprétait à distance certains examens à l’aide de systèmes artisanaux de téléradiologie (‘téléradiologie fisher-price’). Ce praticien a été, après la découverte de ces dysfonctionnements, interdit d’exercice à titre conservatoire pendant un an par l’Ordre des médecins dans l’attente de l’issue des procédures judiciaires engagées contre lui, ce qui ne l’aurait apparemment pas empêché de continuer ses petites affaires en Belgique… et comme la Justice française a traîné, les procédures judiciaires répressives n’ont pas abouti dans ce délai, ce médecin a légalement pu acquérir un nouveau cabinet (supplémentaire ?) pour se réinstaller en région parisienne avec la bénédiction de l’Assurance maladie et du Conseil départemental de l’Ordre des médecins de son nouveau département, et apparemment sans que cela ne préoccupe l’Inspection des affaires sanitaires et sociales.


- Ce cas d’espèce libéral déplorable ne doit pas masquer toute une série de dérives observées depuis le début 2009 dans plusieurs hôpitaux publics français de diverses régions, ayant en commun d’importantes difficultés à recruter des radiologues hospitaliers : certains directeurs d’hôpitaux réussissent en effet - contre toute logique - à décrocher des autorisations de scanner ou d’irm alors qu’ils ne disposent pas des ressources humaines indispensables pour les faire fonctionner. Certains de ces établissements ne disposent plus qu’un ou deux radiologues séniors, d’autres d’aucun, ce qui n’a visiblement pas suffi à un justifier un refus d’autorisation d’équipement lourd, en dépit des avis négatifs du comité régional de l’imagerie et de l’absence évidente de projet médical crédible ! Et une fois l’imageur CT ou RM installé, il ne ‘restait plus’ qu’à le faire fonctionner…


Certains directeurs ont alors cru pouvoir externaliser l’imagerie médicale de leur établissement au terme d’appels d’offres hautement critiquables sur plusieurs points
:

•    l’absence manifeste de perception ou de compréhension chez ces gestionnaires hospitaliers, de la distinction essentielle devant être faite à propos d’externalisation, entre (a) une activité médico-technique, a fortiori centrale pour la prise en charge médicale ou chirurgicale des patients (le cœur de l’activité d’un hôpital) et (b) la fourniture de prestations hôtelières ou logistiques, comme la cuisine, la blanchisserie ou la maintenance des ascenseurs ;
•    la méconnaissance absolue par ces directeurs de la réelle nature du métier et des responsabilités des radiologues qui ne se limitent pas à la seule interprétation des images, et s’étend bien au contraire  très largement à bien d’autres aspects de la prise en charge du patient :
o     depuis le contrôle de l’indication et d’éventuelles contre-indications des examens,
o    l’information et l’obtention du consentement éclairé à la réalisation de l’acte,
o    la prescription éventuelle d’une préparation à l’examen,
o    le choix et/ou l’adaptation du protocole d’examen à chaque situation clinique spécifique,
o    l’encadrement du manipulateur qui ne peut légalement travailler que sous la responsabilité et la surveillance du médecin responsable de l’examen, qui doit être formé à la radioprotection des patients (10)
o    la validation de la qualité technique des images obtenues et leur interprétation,
o    l’information du patient et/ou des cliniciens demandeurs sur le résultat de l’examen et sur la conduite radiologique ultérieure nécessaire,
o    et dans les cas complexes, la participation à des réunions de concertations multidisciplinaires ou à des discussions interservices de suivi des patients.
Il faut encore rappeler que ces activités, relatives aux examens individuels s’ajoutent aux tâches générales de la gestion des ressources humaines, matérielles et organisationnelles de la radiologie, comme par exemple la formation continue en matière d’imagerie et de radioprotection, l’évaluation des pratiques professionnelles et de la politique qualité en imagerie, la révision régulière en fonction des progrès scientifiques et technologiques des protocoles d’examens, etc.
•    l’absence de toute exigence qualitative organisationnelle et méthodologique dans ces appels d’offre, en particulier en référence au Guide du bon usage établi par la Profession, conduisant à donner la primauté aux réponses proposant les meilleurs tarifs, sans aucune garantie de compétence des radiologues qui interprèteront les examens. A noter aussi que certaines firmes de téléradiologie low-cost limitent explicitement leur intervention à la lecture des images télétransmises, à l’exclusion de toute autre responsabilité, ce qui n’effarouche pas les directeurs des hôpitaux concernés.
•    l’application à la médecine de dispositions prévues pour les activités commerciales (Code du commerce et Code des marchés publics), en ignorant les articles R4127-19, -22, -23, -24, -53 et -67 du Code de la santé publique (codifiant le Code de déontologie médicale) qui interdisent expressément aux médecins toute dérive commerciale, toute ristourne et tout rabais sur les tarifs médicaux . Il convient ici de rappeler qu’alors que le Conseil de la Concurrence, devenu ensuite l’Autorité de la Concurrence avait cru dans divers dossiers pouvoir soumettre les tarifs des actes médicaux aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce, la Cour de cassation a confirmé l’opinion inverse de la Cour d’appel de Paris, la juridiction d’appel des décisions de l’Autorité de la Concurrence, selon laquelle les médecins conventionnés du secteur 1 étant tenus d'appliquer les tarifs conventionnels, la concurrence ne peut s'exercer entre eux par les prix et ne trouve à s'exercer que par la qualité du service rendu par chaque médecin, ce qui exclue l’application aux marchés des consultations, actes techniques et chirurgicaux des médecins spécialistes libéraux du secteur 1 des dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

-    Et pourtant les auditions conduites dans les locaux de la SFR par un groupe de travail composé de radiologues hospitaliers, universitaires et libéraux démontrent qu’il existe en France plusieurs offres de téléradiologie de haute qualité
: des groupements de radiologues loco-régionaux (publics ou privés) proposent aux hôpitaux démunis de se charger de l’organisation d’une prise en charge globale des besoins radiologiques d’un hôpital, associant quelques vacations hebdomadaires sur place à une permanence téléradiologique permettant à tout moment la validation des demandes d’examens, le choix du protocole technique de l’examen à réaliser, l’encadrement à distance du travail du manipulateur, la validation des images dès la fin de l’examen et son interprétation rapide, sinon quasi-immédiate en cas d’urgence… ces offres conservent généralement un lien direct, souvent contractuel, entre l’hôpital qui fait téléinterpréter une partie de ses examens et les téléradiologues, dont les noms, titres et diplômes sont connus, alors que les offres industrielles de téléradiologie low-cost  proposent plutôt à l’hôpital un lot d’interprétations d’interprétations radiologiques, vendues au prix de gros, et qu’elles feront ensuite réaliser au cas par cas par des médecins qui pourraient n’avoir aucune relation avec l’établissement demandeur.


Ces propositions de qualité sont évidemment plus coûteuses que les prestations low-cost ci-dessus évoquées mais devraient cependant être privilégiées dans le cadre d’une organisation territoriale ou régionale, au lieu de se laisser aveugler par la quête du meilleur tarif…


Pour faire court, il existe donc schématiquement plusieurs modèles alternatifs pour le développement de la téléradiologie :


-    Dans une première conception ‘industrielle’ voire commerciale, les firmes de téléradiologie vendent aux hôpitaux, aux tarifs les plus serrés possible pour étouffer la concurrence (dumping) des lots d’interprétations d’examens d’imagerie, et parfois d’avis de téléexpertise (sans aucune garantie scientifique sur la réelle valeur des soi-disants experts) qu’elles feront ensuite interpréter à leur guise et au coup par coup par des praticiens qui rentabiliseraient ainsi leur temps libre. Il n’y a plus aucune relation directe entre le site demandeur et le médecin qui interprètera les images, la firme jouant le rôle d’intermédiaire, de Grand Distributeur Médical, tel un Auchan™, un Leclerc™ ou un Carrefour™ de la radiologie (13) . L’expérience montre que dans un tel modèle, à terme, le prix payé aux producteurs chute sans limite alors que les clients paient toujours plus cher, la différence étant absorbée par les intermédiaires (voir les exemples des secteurs de la viande, du poisson, du lait, ou des fruits et légumes…).

A noter aussi, à l’intention de certains hospitaliers, purs ou universitaires, qui imagineraient ainsi pouvoir rentabiliser certaines disponibilités, notamment durant des gardes tranquilles, que ce serait oublier que nos statuts n’autorisent absolument pas de telles pratiques, sans doute juridiquement assimilables à des remplacements irréguliers, et faisant courir le risque de devoir, en cas de contrôle, rembourser à l’administration hospitalière les honoraires supplémentaires indument perçus.

-    Dans une seconde conception, plus artisanale et conforme aux pratiques médicales classiques, d’autres firmes de télémédecine proposent aux hôpitaux de les aider à se mettre en relation avec des praticiens pour nouer directement avec eux une relation contractuelle de téléradiologie. Ces médecins s’engageront à assumer à distance telle astreinte ou telle vacation de scanner ou d’irm, avec un planning connu à l’avance.    


En complément de ce truchement, ces firmes proposent le plus souvent de fournir les outils et infrastructures techniques nécessaires (réseaux de télécommunication, stations de téléradiologie et hébergement à distance des examens télé-interprétés, archivage des échanges de demandes d’examen et des comptes-rendus…) ainsi qu’un savoir faire organisationnel (parfois en construction, tant il est vrai que l’on apprend en marchant), qui se veulent conformes aux recommandations professionnelles du G4 radiologique. Le plus souvent, le point fort de cette démarche repose sur le maintien, voire la restauration dans l’hôpital d’une présence radiologique sur place (intermittente le plus souvent), confortée et stabilisée par l’appoint de la téléexpertise et du télédiagnostic, Ce dispositif permet à l’hôpital de conserver - ou de retrouver - un radiologue responsable, vis à vis des patients, des cliniciens demandeurs d’examens, des manipulateurs du service ou de l’administration hospitalière, de la bonne tenue générale du service, de la radioprotection, du suivi des examens dont les résultats méritent une poursuite de la prise en charge radiologique, de la formation continue en imagerie, etc.


-    Outre ces modèles commerciaux de téléradiologie, un modèle coopératif inter- établissements publics est évidemment envisageable, à l’instar de celui des Hôpitaux américains des Vétérans : la téléradiologie peut être un moyen de coordonner la permanence radiologique entre plusieurs hôpitaux, voisins ou pas, que ce soit dans des sites de faible activité en mutualisant des gardes ou astreintes, ou dans des sites d’activité plus soutenue en répartissant les examens selon les sur-spécialités radiologiques ou pour dériver transitoirement une surcharge locale vers un site moins chargé.


-
Le SRH, avec le reste du G4 et le CNOM, souligne depuis le départ des discussions sur ce sujet, qu’à l’instar de l’exercice multisites d’un PH qui suppose réglementairement l’accord de l’intéressé et qui est gratifié d’une prime, il n’est pas envisageable que la participation à un réseau de téléradiologie vienne autoritairement accroître la charge de travail d’un radiologue de garde, ni qu’elle puisse être acceptée sans contrepartie financière (14) . Il serait normal, qu’en application de la doctrine présidentielle du « Travailler plus pour gagner plus » que les bénéfices de cette prestation interhospitalière soient équitablement partagés entre l’établissement, le service et les personnels intéressés. Par ailleurs, l’organisation de cette prise en charge coordonnée, sur un territoire de santé devrait être l’un des éléments du projet de pôle d’imagerie territoriale, et devrait s’accompagner de la possibilité de modifier la répartition des emplois de radiologues entre les structures radiologiques concernées. Cette éventualité, évoquée lors de la préparation du Rapport de la Commission LARCHER, devrait être matérialisée par les textes d’application de la réforme HPST.

In fine, le SRH, à l’unisson des autres organismes représentatifs de la radiologie médicale et de l’AFPPE, demande instamment aux tutelles nationales et régionales de tirer rapidement les leçons des bonnes et mauvaises pratiques téléradiologiques déjà observées en France, et de clarifier les conditions auxquelles un établissement (public) de santé peut décider d’externaliser l’interprétation de ses examens d’imagerie. De ce point de vue, le décret d’application de la loi HPST relatif à la définition des actes de télémédecine est particulièrement décevant et rien n’indique que nos préoccupations soient entendues.

Par ailleurs les textes juridiques traitant de télémédecine n’ont pas encore voulu aborder de front l’importante question du lieu juridique où est réputé être effectué un acte de télémédecine : lorsque deux juridictions différentes pourraient être compétentes selon que l’on considère juridiquement que « c’est le patient qui se transporte virtuellement pour consulter le télémédecin sur son lieu d’exercice habituel » ou à l’inverse que l’on considère que « c’est le télémédecin qui virtuellement se rend électroniquement auprès du patient pour lui donner ses soins », le tribunal compétent, la procédure et la réglementation applicables peuvent changer : en particulier, notre double système juridictionnel français comporte des tribunaux judiciaires compétents pour la responsabilité indemnitaire des radiologues libéraux, celles des établissements de santé privés (cliniques, centres de lutte contre le cancer…) ou celles des firmes de télémédecine et des tribunaux administratifs seuls compétents pour juger de la responsabilité indemnitaire des hôpitaux publics. Il faudra sans doute répondre un jour à cette question, lorsqu’une erreur d’interprétation sera l’objet d’une demande indemnitaire, pour un patient pris en charge dans un hôpital public faisant interpréter ses radios par une firme privée de téléradiologie… Il serait préférable qu’une disposition législative tranche a priori cette question, sans quoi, le justiciable devra peut-être saisir le Tribunal des conflits, et cette démarche compliquera encore sa demande d’indemnisation et sa quête d’explications sur les raisons de son accident médical.


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Notes :

(1) Le Conseil professionnel de la radiologie (ou G4 radiologique) et le Conseil national de l’Ordre des médecins ont ainsi publié en 2007 un Guide du bon usage professionnel et déontologique de la téléradiologie disponible sur le serveur du CNOM, de la SFR, de la FNMR ou du SRH (http://www.srh-info.org/upload/TEXTE_G4_REF.pdf ). Le courrier adressé à ce propos, le 11 janvier 2007, par Philippe GRENIER, alors Président du G4 au Ministre de la Santé est resté sans réponse…

(2) Voir p. ex. L’article de RJ TOOMEY et coll. « Diagnostic Efficacy of Handheld Devices for Emergency Radiologic Consultation », in Am. J. Roentgenol 2010, 194, pp. 469-474. Plusieurs applications pour iPhone sont ainsi proposées au grand public, dont p. ex. une déclinaison d’Osirix sur l’Apple Store…

(3) Voir p. ex. les articles de R. STEINBROOK, « The Age of Teleradiology », in New Engl. J Med, 2007 (juillet), 357 (1), pp. 5-7, celui de TL Ebbert et coll., «The state of teleradiology in 2003 and changes since 1999 », in Am. J. Roentgenol., 2007;188:W103-W112 et celui de RS LEWIW et coll., « Radiology Practices’ Use of External Off-Hours Teleradiology Services in 2007 and Changes Since 2003 », in Am. J. Roentgenol., 2009, 193, pp. 1333-1339.

(4) Voir notamment le rapport 2001 de l’ Agency for Healthcare Research and Quality intitulé « Making Health Care Safer: A Critical Analysis of Patient Safety Practices », qui dans son chapitre 35 indique "Reducing Errors in the Interpretation of Plain Radiographs and Computed Tomography Scans… : The misinterpretation of plain radiographs and cranial computed tomography (CT) scans by non-radiologists in emergency departments or in urgent care settings is of particular concern. The prevalence of this patient safety issue may result from the large volume of patients receiving these radiological tests, which are often done outside normal working hours, when radiologists are not available to provide an initial interpretation.”

(5) Ce fonctionnement paraît à première vue assez proche de la préparation des comptes-rendus effectuée par les internes de nos CHU, durant leur apprentissage, sous le contrôle et la responsabilité des radiologues séniors qui corrigent, complètent, valident et cosignent le compte-rendu définitif.

(6) Voir notamment sur le site de l’ACR, la page suivante : http://www.acr.org/SecondaryMainMenuCategories/NewsPublications/FeaturedCategories/CurrentHealthCareNews/More/GhostReporting.aspx

(7) Cette personne, sans doute par référence aux pratiques de l’esclavage, est plus souvent chez nous dénommée familièrement un ‘nègre’ qu’un ‘écrivain fantôme’.

(8) C’est ainsi que l’une des plus importantes d’entre elles a obtenu un reportage très promotionnel, lors du journal télévisé de 20h00 sur TF1 du 12 février 2008 dans lequel le docteur KALYANPUR, créateur de cette entreprise commerciale industrielle (Teleradiology Solutions, www.teleradsol.com et www.radguru.net ) indiquait son intention d’aborder le marché français et a depuis engagé un consultant lobbyiste international pour faciliter son implantation.

(9) Voir notamment l’article de HA ABELLA « Teleradiology day reads shake up the specialty », in Diagnostic Imaging 2009, 31 (10) : 1-6, téléchargeable à l’adresse http://www.diagnosticimaging.com/display/article/113619/1470094

(10) Article L4351-1 CSP : « Est considérée comme exerçant la profession de manipulateur d'électroradiologie médicale toute personne qui, non médecin, exécute habituellement, sous la responsabilité et la surveillance d'un médecin en mesure d'en contrôler l'exécution et d'intervenir immédiatement, des actes professionnels d'électroradiologie médicale, définis par décret en Conseil d'État pris après avis de l'Académie nationale de médecine.
Les manipulateurs d'électroradiologie médicale exercent leur art sur prescription médicale. »
Article R1333-67 CSP : « L'emploi des rayonnements ionisants sur le corps humain est réservé aux médecins et chirurgiens-dentistes réunissant les qualifications prévues à l'article R. 1333-38.
Sous la responsabilité et la surveillance directe de ceux-ci, les manipulateurs en électroradiologie médicale peuvent exécuter les actes définis par le décret pris en application de l'article L. 4351-1. »

(11) Art. R4127-19 CSP : « La médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce. Sont interdits tous procédés directs ou indirects de publicité et notamment tout aménagement ou  signalisation donnant aux locaux une apparence commerciale ».
Art. R4127-22 CSP : « Tout partage d’honoraires entre médecins est interdit (…) »
Art. R4127-23 CSP : « Tout compérage entre médecins, entre médecins et pharmaciens, auxiliaires médicaux et toutes autres personnes physiques ou morales est interdit. »
Art. R4127-24 CSP : « Sont interdits au médecin :
- tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel injustifié ou illicite ;
- toute ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque personne que ce soit ;
- en dehors des conditions fixées par l’Article L. 4113-6 du code de la santé publique, la sollicitation ou l’acceptation d’un avantage en nature ou en espèces, sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, pour une prescription ou un acte médical quelconque. »
Art. R4127-53 CSP : « Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières »
Art. R4127-67 CSP : « Sont interdites au médecin toutes pratiques tendant à abaisser, dans un but de concurrence, le montant de ses honoraires. Il est libre de donner gratuitement ses soins. »

(12) C. Cassation, chambre commerciale, Arrêt n° 432 FS-P+B, Audience publique du 7 avril 2010, pourvois n° D 09-13.494 et Y 09-66.021

(13) Ces trois marques sont uniquement citées pour illustrer le propos et sans volonté de publicité particulière…

(14) Quelques signalement de tentatives de potentats locaux, chefs de pôle ou directeurs hospitaliers… caressant apparemment l’ambition d’une carrière de négrier des temps modernes, incitent à penser qu’il ne s’agit pas là d’un pur fantasme.