Téléradiologie et organisation hospitalière territoriale

Dr Vincent HAZEBROUCQ, MCU-PH à l’Université Paris Descartes
Chargé de mission à la Direction de la politique médicale de l’AP-HP
vincent.hazebroucq@sap.aphp.fr   et www.hazebroucq.net

La téléradiologie est à l’évidence un outil prometteur, parmi d’autres, pour aider l’hôpital public à se réorganiser au service d’un territoire de santé. L'ensemble de la profession radiologique française, réunie dans le Conseil professionnel de la radiologie (ou G4 radiologique) a intensément travaillé, avec le Conseil national de l’Ordre des médecins entre 2005 et 2007 à l’élaboration d’un Guide pour le bon usage professionnel et déontologique de la téléradiologie, en réponse à une sollicitation émanant de la Direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, mais aussi à la demande des professionnels eux-mêmes, convaincus des potentialités positives et négatives de ce nouvel outil et de la nécessité d’une réflexion rapide pour en encadrer le développement.

De ce travail résultent quelques certitudes et évidences ci après succinctement résumées :

1          Ce qu’on ne peut pas attendre de la télémédecine et ce que l’on peut tout de même en espérer

Comme tout outil, la téléradiologie ne peut à elle seule suppléer à une organisation déficiente. Informatiser un désordre ne peut qu’aboutir à un désordre informatique…

Elle ne peut pas non plus totalement pallier à une insuffisance de ressources humaines, même si elle peut aider à optimiser l’utilisation et l’organisation d’équipes médicales quantitativement fragiles, en facilitant les remplacements temporaires et en contribuant à rompre l’isolement de professionnels géographiquement défavorisés.

Elle peut surtout contribuer à renforcer des liens de collaborations entre des équipes médicales fragmentées en évitant que l’isolement conduise à des évolutions divergentes des pratiques avec une dégradation de la qualité ou de la sécurité des soins.

Elle peut dans certaines circonstances éviter aux patients des déplacement inutiles, douloureux ou coûteux, et leur faciliter l’accès à l’avis à distance à des professionnels plus spécialisés et/ou plus expérimentés pour un problème de santé particulier que les médecins disponibles localement.

2          Les fondements de l’éthique médicale et de la déontologie doivent s’appliquer en toute rigueur à cette nouvelle forme de pratique [1]. Ceci n’exclue évidemment pas d’envisager quelques adaptations ponctuelles des règles professionnelles, mais parfois aussi au contraire des renforcements de celles-ci, les nouvelles possibilités créant de nouvelles responsabilités.

- La tentation existe évidemment, en croyant ‘simplifier’, de supprimer certaines obligations professionnelles ou tout au moins de les alléger, afin de déployer plus aisément cette nouvelle pratique, considérée comme un ‘simple transfert d’images’ et non comme un véritable acte médical pratiqué à distance.
En France comme à l’étranger, le mirage d’une ‘télémédecine low-cost’ a ainsi conduit quelques médecins et quelques administrateurs de la santé, à proposer de réduire significativement les exigences professionnelles traditionnelles, notamment pour autonomiser les manipulateurs radio (alors qu’ils ne sont en principe habilités à travailler que « sous la responsabilité et la surveillance directe d’un médecin susceptible d’intervenir immédiatement et de contrôler l’exécution de leur travail »), ou pour limiter la responsabilité du téléradiologue à la seule interprétation en différé des images télétransmises (quid des urgences ?), en confiant la discussion de l’indication, le contrôle de la qualité de l’examen, le respect des règles de radioprotection et bien sûr la surveillance et la continuité des soins aux médecins présents localement (urgentistes, internistes, généralistes, sans se préoccuper de leur réelle aptitude ni de leur volonté d’assumer ces missions classiquement dévolues aux radiologues…).
Il en résulterait à l’évidence une très forte dégradation de la qualité et de la sécurité des soins, comme l’ont démontré une multitude d’expériences étrangères publiées depuis les années 1990 dans la littérature médicale internationale. En outre, la confiance des patients ainsi que celles des équipes médicales desservies par ce type de télémédecine low-cost est très largement altérée et conduit à une consommation médicale accrue d’actes redondants.

Par ailleurs, cet allègement des contraintes professionnelles ouvre grande la voie à une délocalisation incontrôlée de la radiologie, qui sombrerait alors dans les classiques désordres de la mondialisation : dumping social et économique, dégradation qualitative et destruction de l’offre nationale. Il n’est sans doute pas nécessaire que la médecine française rejoigne la sidérurgie, l’aluminium ou le textile sur la liste des victimes de la mondialisation.

- Les professionnels de la radiologie, publics et privés, médecins et manipulateurs, ainsi que les instances ordinales nationales se sont rapprochées de la Société française médecine d’urgence (SFMU) et de la DHOS pour proposer un scénario alternatif dans lequel le téléradiologue, mis en communication avec le manipulateur par un moyen de communication approprié à la réalisation d’un acte téléradiologique de haute qualité, resterait le garant de la totalité de son acte, depuis la pertinence de l’indication, l’élaboration et le choix du protocole technique de l’examen, en tenant compte de l’indication et de l’état de santé du patient, la surveillance de sa réalisation et son interprétation ‘en direct’, la délivrance des informations sur le résultat au patient et au médecin demandeur, voire à la participation à distance à des concertations multidisciplinaires à chaque fois que la pathologie du patient l’exigerait. Bien sûr la surveillance clinique du patient reviendrait nécessairement, durant l’examen radiologique et les phases d’attente correspondantes, aux médecins locaux demandeurs de l’examen.

Précisons qu’au plan technique, les solutions permettant une telle pratique sont connues depuis le milieu des années 1990 et ont été rendues économiquement très accessibles par le développement de l’internet à haut débit et des réseaux privés virtuels (VPN).

Avec une organisation adaptée, le maillage en réseau, par une téléradiogie ainsi présentée, au niveau de tout un territoire de santé pourrait ainsi contribuer à stabiliser les équipes médicales radiologiques des hôpitaux du secteur, en leur permettant à la fois de bénéficier, en cas de besoin, de l’expertise ultra-spécialisée du CHRU, et de s’entraider ou de se dépanner en cas de surcharge ponctuelle.

Un véritable maillage pourrait également être réalisé avec les structures privées volontaires pour participer au service public ou pour partager avec lui des équipements lourds (scanners, IRM, mammographes numériques ou réseaux d’images médicales…)


 

[1] Le législateur l’a expressément voulu dans sa rédaction de la définition légale de la télémédecine, à l’article 32 de la Loi n°2004-810 du 13 août 2004 relative à l’Assurance maladie : « La télémédecine permet, entre autres, d’effectuer des actes médicaux dans le strict respect des règles de déontologie mais à distance sous le contrôle et la responsabilité d’un médecin en contact avec le patient par des moyens de communication appropriés à la réalisation d’actes. » Cette définition a malheureusement été abrogée par l'article 78 de la loi HPST qui en a donné une définition plus complète, insérée dans la partie législative du Code de la santé publique. Cette définition de 2009 est cependant hautement critiquable car elle ne précise plus, contrairement à celle de 2004, que s’agissant d’un acte médical, la télémédecine doit se faire dans le respect de la déontologie médicale, qu’elle doit être réalisée sous la direction et la responsabilité d’un membre d’une profession médicale, et qu’elle nécessite des moyens de communications appropriés à l’acte effectué. Elle ouvre donc la porte à des solutions de ‘télémédecine low-cost’, ce qui n’était pourtant pas le but revendiqué par ses rédacteurs. Parfois aussi en matière législative, le mieux est l’ennemi du bien…